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Serbes et les Grecs, le monde civilisé n’en aurait pas moins désapprouvé le cynisme de son agression ; mais elle aurait eu l’hégémonie des Balkans et personne n’aurait songé à la lui arracher. Pour un peu, M. d’Estournelles nous aurait proposé de désarmer, afin de mieux mettre l’Allemagne dans son tort. Laissons ces rêveries. Les radicaux ne vont pas aussi loin ; ils ne contestent même pas l’obligation où nous sommes de faire quelque chose ; ils proposent seulement de faire moins que le gouvernement n’en demande et ils ont affirmé au Sénat, comme ils l’avaient déjà fait à la Chambre, que 30 mois de service suffiraient. C’est la loi au rabais. M. Herriot, sénateur du Rhône, a fait ses débuts à la tribune en soutenant cette thèse : il aurait pu en choisir une meilleure. Du reste, ni lui, ni M. d’Estournelles, ni les autres qui ont parlé dans le même sens ne pouvaient se faire la moindre illusion sur l’inutilité de leurs discours. Sunt verba et voces... Avant même que la discussion commençât, le vote qui devait la clore ne faisait pas de doute. Le Sénat avait suivi la discussion de la Chambre ; il avait lu les documens ; il avait comparé les chiffres ; il connaissait enfin la situation extérieure et il savait que, du jour au lendemain, elle pouvait prendre un caractère alarmant. Son parti était pris.

S’il en avait été autrement, le discours de M. Clemenceau d’une part et ceux de MM. Millès-Lacroix et Bienvenu-Martin de l’autre, auraient pu modifier ses dispositions. M. Clemenceau est partisan déterminé du service de trois ans ; il l’était même, comme il a eu soin de le faire remarquer, avant certains ministres ; mais il ne renonce pas pour cela au rôle de critique à outrance qui a rempli la plus grande partie de sa longue carrière et où on comprend qu’il se complaise, car il y excelle. Sa critique a été acerbe, il s’en faut de beaucoup qu’elle ait été toujours injuste. Les défauts de la loi ne sont que trop certains. Le plus grave est de n’avoir pas retenu la classe de 1910 sous les drapeaux et d’y avoir introduit en même temps les classes de 1912 et de 1913. Les conséquences en seront très fâcheuses ; heureusement, elles seront provisoires, et il faut espérer que nous traverserons sans à-coup la période dangereuse ; s’il en était autrement, la responsabilité du gouvernement serait grave. Sur ce point, M. Clemenceau a eu facilement raison. M. Barthou a mis beaucoup de talent et d’adresse à répondre tout ce qu’on pouvait répondre, mais nous ne pensons pas qu’il ait convaincu le Sénat. Il a dit qu’en cas de péril le gouvernement conservait le droit de rappeler nominalement par un simple décret, le nombre d’hommes dont il aurait besoin. Soit, mais là n’est pas la