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Sous Henri VIII, on a détruit le petit ermitage dont les fondations, cependant, ont été découvertes de nos jours. Peut-être les cendres de Juliane reposent encore dans ce sol : il était d’usage de creuser la tombe des recluses sous la cellule qu’elles avaient habitée pendant leur vie.

Juliane se considérait comme une femme illettrée. Dom Gabriel Meunier, qui est le traducteur français et le préfacier de son livre, remarque avec justesse que, dans sa simplicité, le style de la recluse recèle un certain art, et que plusieurs réflexions dénotent une culture intellectuelle supérieure à ce que sa modestie nous eût fait attendre. Sans doute elle se trouvait illettrée en se comparant aux savans de son temps. Elle ne maniait pas le latin comme sainte Gertrude, mais la phrase que nous cite D. Gabriel Meunier nous montre assez la valeur et la portée de son esprit : « La perfection, écrit-elle, a deux belles propriétés qui sont la rectitude et la plénitude. » Quel qu’il fût, cet esprit devait disparaître, s’anéantir, devant la grandeur du monde révélé.

Juliane, nous dit-on, mourut centenaire. Elle vécut à une sombre époque qui fut celle de la guerre de Cent ans. On l’a quelquefois identifiée avec une Juliane Lampit, qui reçut un legs d’un chevalier, combattant d’Azincourt.

Quels échos du monde, — de ce monde troublé, — lui parvenaient-ils à travers la fenêtre grillée de sa petite cellule ? Qu’entendit-elle de ce siècle qui vit lutter les rois et pleurer les reines, — siècle où Shakspeare place ce jardinier qui, sur une plante de romarin, recueillit une larme de reine ? Certainement elle connaissait la détresse des âmes et elle disait : « All is for love. Tout est pour l’amour. »

Autour d’elle il y avait une ville laborieuse et riche, renommée pour le commerce des laines ; son église, sa cellule étaient placées dans le plus beau quartier d’alors ; dédaigneuse des intérêts matériels, elle ne songeait qu’aux intérêts spirituels, non seulement de sa cité, mais de l’univers.

« Tout est pour l’amour... Tout finira bien... » Voilà ce que répète Juliane, ce qu’elle entend à travers ses révélations. Voilà ce qu’elle devait répondre aux pèlerins douloureux et déconcertés qui se présentaient à sa petite fenêtre grillée pour l’interroger : Amour, confiance, repos en Dieu...

Que s’était-il passé dans cette cellule ? Un événement silencieux,