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l’origine l’idée de secourir Bazaine ; cette objection ne subsistait-elle plus le 22 août ? Loin de là, elle acquérait plus de force depuis qu’on connaissait, par le rapport de Bazaine, la situation critique de l’armée de Metz.

Un maréchal d’un coup d’œil aussi exercé que Mac Mahon ne pouvait pas admettre qu’une armée, qui venait d’être rejetée dans un camp retranché, pût en sortir deux jours après, en passant sur le corps de l’armée qui l’avait vaincue. « Une armée qui se laisse arrêter dans sa marche et acculer contre une place forte donne par le fait même la preuve la plus évidente de son infériorité sur l’ennemi[1]. » Bazaine d’ailleurs envoyait à Châlons des espérances qu’il n’éprouvait pas et des projets qu’il était décidé à ne pas réaliser. Il en est convenu lui-même. Le duc d’Aumale lui disant : « On ne peut concilier l’idée d’une armée rejetée en arrière des forts, qui va cependant, sous deux ou trois jours, prendre la route du Nord, » il avait répondu : « J’attendais constamment de nouvelles instructions de Châlons me disant : « N’entreprenez pas cette marche du Nord : elle est périlleuse[2]. »

Le duc d’Aumale aurait pu adresser à Bazaine une nouvelle interrogation : « Puisque vous ne songiez pas sérieusement à l’opération dont vous faisiez entrevoir l’éventualité possible, pourquoi ne l’avoir pas dit nettement ? » Et Bazaine eût été fort empêché de répondre. Après Woerth, Mac Mahon n’équivoqua pas, il écrivit : « J’ai perdu une bataille, je ne m’arrêterai qu’à Châlons. » — « Rejoignez-nous au moins par Nancy, lui criait-on de Metz. — Je ne puis pas, répondit-il, je ne m’arrêterai qu’à Châlons.»

Après le 18 août, Bazaine aurait dû avoir cette brutalité de franchise, télégraphier sa véritable pensée sans ambages et dire : « J’ai perdu une bataille, je suis rejeté dans Metz, ne comptez pas que je puisse vous rejoindre. » Et Mac Mahon n’eût pas été induit à une fausse interprétation. Il aurait dû néanmoins ne pas plus tenir compte de cette information incomplète que de l’injonction abusive de Palikao et continuer imperturbablement sa retraite sur Paris. Du reste, quelle que soit l’interprétation qu’on donne à la dépêche du 19 août, ce n’est pas celle qui a déterminé Mac Mahon à aller se perdre à Sedan.

  1. Stoffel.
  2. Audience du 15 octobre 1873. Procès.