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Les Allemands savent fort bien que ce dispositif est, en soi, tout à fait insuffisant et que la prudence ordinaire exigerait qu’ils achevassent la vaste ceinture d’ouvrages détachés, embrassant toute la baie, l’arsenal, les chantiers, la ville, dont les plans existent depuis vingt-cinq ans au moins. Peut-être s’y résoudront-ils. Mais il faudrait pour cela qu’ils pussent admettre l’éventualité d’un débarquement sérieux, soit dans la baie de Eckernförde, au Nord de Kiel, soit dans celle de Howacht, à l’Est, soit dans celle de Neustadt (golfe de Lübeck), au Sud. Or l’État-major allemand ne redoute rien de semblable. Il pense tenir les détroits danois et d’ailleurs la domination du parti socialiste dans le petit royaume lui donne, de ce côté si délicat, les plus précieuses garanties. Sans les Danois, il ne semble guère possible que Russes ou Anglais viennent jusque sur la côte du Holstein tenter de grandes opérations. Si l’armée expéditionnaire Britannique descend jamais sur le continent, — ce qui n’est point du tout certain, aux yeux des politiques de Berlin, — ce sera en France, au pis aller en Belgique ou en Hollande. Quant à la France elle-même, elle est évidemment hors de cause à ce point de vue. D’ailleurs la patiente et sournoise habileté des stratèges allemands a réussi depuis longtemps à imposer à la légèreté française des « dogmes » hostiles aux expéditions d’outre-mer et, mieux encore, aux diversions...


Franchissons ces détroits danois, ou plutôt le Grand-Belt, le seul qui puisse donner passage à une flotte de haut bord, — le Petit-Belt est trop étroit et le Sund trop peu profond ; — gagnons au Nord par le Cattégat et le Skager rack, puis, Skagen doublé, descendons au Sud-Ouest d’abord, au Sud ensuite, le long du revers occidental de la péninsule cimbrique, Jutland et Schleswig. Remarquons en passant la première grande île de la Frise orientale, la longue et capricieuse Sylt, au Nord de laquelle s’approfondit, au milieu de « watten « de sable vaseux, une rade intéressante, le Lister tief. Peut-être en entendrons- nous parler plus tard, si l’on se décide à déblayer le seuil étroit, la barrière sous-marine (4 mètres d’eau environ à mer basse) qui sépare cette fosse de la haute mer. Déjà d’ailleurs les bâtimens légers de la flotte allemande y pénètrent souvent. C’est qu’à Sylt aboutit la ligne stratégique d’avant-postes qui part de Borkum et dont le centre s’appuie à l’ilot fortifié d’Helgoland.