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Moscou de se réunir à jour fixe sur la haute Bérésina avec Tchitchagoff et Wittgenstein, répondit que des opérations à grande distance ne donnent jamais le résultat qu’on en attend. Et cependant un accord motivé et précis s’était établi entre les trois généraux, et un aide de camp du Tsar, Czervicheff, ne cessait d’aller de l’un à l’autre, afin de coordonner leurs mouvemens.

Si les deux armées à réunir ont un point de départ différent, et que leurs chefs soient dans l’impossibilité d’établir entre eux une entente détaillée et précise, s’ils ne communiquent que par quelques télégrammes chiffrés, vagues ou elliptiques, la manœuvre concentrique de ces deux armées sur un point déterminé est plus que difficile et téméraire, elle est folle.

Il est une seconde règle générale fournie par l’expérience, c’est que, dans quelque situation que soit une armée, indépendamment de toute pensée de réunion avec une autre armée, le choix étant entre une manœuvre difficile et une manœuvre sûre, le devoir est de préférer celle qui est sûre. Et les grands capitaines préoccupés des hasards imprévus dans une bataille, quelque favorables qu’en soient les apparences, ne se sont jamais écartés de cette sage maxime.

En 1474, Frédéric, quoique cela ne fût guère dans ses habitudes, rassembla les principaux officiers de ses troupes et leur demanda si l’on marcherait sur Prague et si l’on se maintiendrait dans le royaume autrichien ou si l’on se retirerait en Silésie. En se retirant, on était obligé d’abandonner des amas de farine et surtout la grosse artillerie que les chemins ne permettaient pas de trainer après soi. « N’importe, dit Frédéric, il faut marcher en Silésie parce que c’est le parti le plus sur[1]. »

Le retour sur Paris était certainement le parti le plus sûr, non pour relier étroitement cette armée à la ville et l’exposer à un investissement et à une capitulation avec la ville elle-même, mais pour la reconstituer en officiers, en effectifs, en matériel, en instruction, en moral, pour lui rendre sa valeur et sa confiance, pour la grossir, en y appelant, dans des cadres éprouvés, des centaines de mille hommes. Cela permettait de réduire l’inégalité des effectifs, car plus un envahisseur s’éloigne de sa base d’opérations, plus son armée, en s’allongeant, se

  1. Mémoires, année 1474.