Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nètes, il ne demande pas si cela provient ou non de l’existence réelle de tels orbites dans le ciel ; » cela ne le regarde pas.

À l’encontre d’Aristote, certains professeurs de Paris relèvent l’idée de saint Augustin et de saint Anselme ; qu’il n’est aucune différence essentielle entre la substance constitutive du ciel et celle dont la terre est formée. Selon Gilles de Rome, Duns Scot et Guillaume d’Ockam, on trouve, dans les corps célestes et les corps sublunaires, une matière de même nature. Selon Jean Buridan, les mouvemens des uns et des autres sont régis par les mêmes lois.

Et Buridan continue de s’opposer à Aristote : le mouvement des astres ne s’explique pas, dit-il, par l’action des intelligences qui leur sont unies. « Dès la création du monde. Dieu a mû les cieux de mouvemens identiques à ceux dont ils se meuvent actuellement ; il leur a imprimé alors des impetus, par lesquels ils continuent à être mus uniformément ; ces impetus, en effet, ne rencontrant aucune résistance qui leur soit contraire, ne sont jamais ni détruits ni affaiblis. » Voilà à jamais brisé le prestige divin des astres, que la science aristotélicienne avait tout bonnement consacré, et auquel savait si mal résister un saint Thomas d’Aquin. Et voilà posé du même coup, implicitement mais effectivement, ce principe de l’inertie qui supporte la dynamique de Galilée, et dont Descartes, puis Leibniz perfectionneront la formule : permanence de la force (impetus) que ne contrarient ni la résistance du milieu ni la gravité naturelle du mobile.

Buridan en aperçoit la fécondité : il en use, par exemple, pour expliquer, toujours à l’encontre d’Aristote, le mouvement des projectiles. Arrière la doctrine qui veut en rendre raison par l’action de l’air, moteur contigu au boulet et distinct de lui ; le véritable moteur du mobile n’est autre que la force (impetus) violemment déposée en lui par celui qui l’a lancé. Comme le mouvement des astres, le mouvement des projectiles dérive d’une « chiquenaude initiale. » Et Buridan précise admirablement : pour un mobile donné, déclare-t-il, l’impetus est d’autant plus grand que la vitesse communiquée à ce corps est plus grande ; et il ajoute : « en des mobiles différens, lancés à une même vitesse, les intensités de l’impetus sont entre elles comme les qualités de matière que renferment ces divers mobiles ; » c’est-à-dire que, à l’entendre, l’intensité de cette force est égale