Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’optique naissait dans l’école d’Euclide [vers 320 av. J.-C] : celle-ci connaissait la loi de la réflexion et voulait déterminer la valeur de l’angle de réfraction par rapport à l’angle d’incidence. La dynamique était paralysée au berceau par cette étrange idée d’Aristote, que tout mobile est accompagné d’un moteur qui le touche sans se confondre avec lui : le moteur d’une flèche, c’est l’air qu’elle ébranle. Seule, la statique se développait quelque peu : un génie inconnu ébauchait le principe des vitesses virtuelles et tentait de ramener à la loi du levier l’explication de toutes les machines simples, tandis qu’Archimède [287-212] étudiait, en des œuvres immortelles, la notion de centre de gravité, l’équilibre des poids, l’équilibre des liquides et des corps flottans.

Voilà, esquissées dans leurs très grandes lignes, les conclusions de la science grecque ; voilà l’image que, pendant plus de mille ans, l’élite humaine se forma du monde ! Pendant près de mille ans [200-1277], on doit dire que la science ne progressa pas d’une ligne ; bien mieux, elle recula. Les chrétiens d’Orient, le plus souvent, en délaissaient l’étude : l’astronomie qu’ils connaissaient touchait de très près à l’astrologie[1] et au paganisme ; elle ne disait rien, en revanche, de ces eaux célestes dont parle la Genèse, I, 6-8 ; et beaucoup, oublieux des enseignemens d’Augustin, se sentaient tentés de demander à la Bible, non seulement la science du salut, mais celle encore du soleil. Les Arabes firent pis : avec Avempace [† 1138. Ibn Badja] et Aboubacer [† 1185. Aboubekr ibn Tofaïl], Averroès [† 1198. Ibn Rochd] et son ami Alpetragius [Abou Ishak ibn al Bitrogi], ils rejetèrent la réforme d’Hipparque et de Ptolémée et restaurèrent dans sa pureté originelle, son dogmatisme aventureux, son dédain de l’expérience, la science aristotélicienne. Grâce à Alpetragius surtout, Aristote recouvre son empire ; on estime qu’il a fondé et achevé la logique, la physique et la métaphysique. Je dis qu’il les a fondées, déclare Averroès, « parce que tous les ouvrages qui ont été écrits avant lui sur ces sciences ne valent pas la peine qu’on en parle… Je dis qu’il les a achevées, parce qu’aucun de ceux qui l’ont suivi… pendant près de quinze cents ans, n’a pu rien ajouter à ces écrits, ni y trouver une erreur de quelque importance. » Et, lorsque les Platon de Tivoli et les

  1. Il faut bien comprendre, en effet, que l’astrologie est la nécessaire conséquence de l’aristotélisme : les mouvemens du monde sublunaire sont strictement commandés par les mouvemens des sphères.