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pour lui d’exercer un privilège ; on ne s’en est pas moins préoccupé à Vienne de le voir prendre dans les Balkans une situation privilégiée, et cette préoccupation s’est exprimée avec acrimonie dans la presse. Tant il est vrai que les meilleures intentions ne suffisent pas. Il y a eu là une nouvelle manifestation de l’inquiétude, d’ailleurs naturelle, que les affaires des Balkans ont fait naître en Autriche et que les progrès du slavisme, si rapides depuis quelques mois, ne sauraient manquer d’y entretenir.

Qu’ont répondu les rois de Bulgarie et de Serbie au télégramme de l’empereur Nicolas ? On ne connaît complètement que la réponse du premier ; il l’a livrée lui-même à la publicité. Sans doute le roi Ferdinand ne décline pas l’arbitrage de la Russie ; il rappelle même qu’il l’a invoqué, le 12 mai dernier, et, dès lors, accepté par avance ; mais, dit-il, à la proposition qui en a été faite à ce moment, M. Pachitch a répondu par un discours où il a manifesté la résolution de « garder des territoires que la Serbie n’a occupés qu’au nom de l’alliance balkanique et qui, aussi bien en fait et en droit qu’en vertu du traité de 1912, sont essentiellement bulgares. » « Je ne saurais dissimuler à Votre Majesté, continue le roi Ferdinand, l’indignation que ressentie peuple bulgare à la pensée que la Serbie veuille le priver du fruit de ses victoires et le faire manquer aux obligations qu’il a contractées devant l’histoire à l’égard de ses frères de Macédoine. » Le roi Ferdinand, pour conclure, consent à remettre la cause de son pays entre les mains de l’empereur de Russie « conformément au traité du 29 février 1912. » Il faut remarquer ces derniers mots : l’intention n’en est pas douteuse. Le Roi entend par là enfermer la liberté de l’arbitre dans l’interprétation littérale du traité, sans qu’il puisse en modifier en quoi que ce soit les dispositions. Or c’est là, comme on l’a vu, toute la difficulté entre Sofia et Belgrade : le gouvernement serbe estime que les circonstances ont modifié le traité au point qu’il n’y a plus à en tenir compte ; le gouvernement bulgare, au contraire, en maintient énergiquement tous les termes. L’empereur Nicolas a raison de prévoir que l’arbitrage sera pour lui une « obligation pénible » à remplir ! Quant à la réponse du roi Pierre de Serbie, le texte n’en a pas été publié, mais il semble bien qu’elle soit évasive et conditionnelle. On affirme que le mot d’arbitrage n’y est pas prononcé et que le Roi se contente d’exprimer sa confiance générale dans l’équité et la protection de la Russie. On ajoute que la Serbie n’accepte pas que le débat soit limité à elle et à la Bulgarie : elle estime que la cause intéresse aussi le Monténégro et la Grèce et qu’elle doit être discutée entre les quatre