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mène à des spectacles de débauche et de dépravation, qui nous mène secondement à cette conclusion : nos jeunes filles sont livrées à un exemple monstrueux. L’auteur est un moraliste ; et l’on sait que, procédant avec méthode, les moralistes ont à diagnostiquer le mal, pour fixer le remède ou le régime. Selon qu’ils s’attardent plus ou moins complaisamment à leur diagnostic, les moralistes font des livres plus ou moins immoraux. Jamais ils ne sont à la fois sincères et prudes ; décens même, ils ne le sont pas facilement. On n’a pas oublié ce prédicateur qui, sur le point de châtier les mœurs du jour, lançait du haut de la chaire cet avertissement. « Qu’on emmène les Marguerites ! » Pareillement, on lit à la première page des Anges gardiens : « Ce livre, que l’auteur croit utile aux mères françaises, n’est pas destiné à leurs filles. »

C’est un ouvrage dogmatique. L’auteur a vu un danger social, et il le désigne. Un livre scandaleux ? On l’a dit. Mais nous avons présentement quelques fabricans de « bons livres » qui se vendent sous le manteau de Tartufe : et, volontiers, ils font les renchéris. En dépit d’eux, il y a des siècles que notre littérature est libre, audacieuse ; nos écrivains sont francs, hardis, effrontés même plutôt qu’hypocrites. Le principal est qu’on n’ait pas spéculé sur l’attrait du vice, ni sur la valeur marchande de la vertu. L’auteur des Anges gardiens n’a point commis l’une de ces fautes, ni l’autre. Les mauvaises mœurs qu’il a peintes ne sont pas un divertissement qu’il offre à son lecteur. Il n’a point ajouté à son roman ce ragoût ; mais, ce dont il nous détournait, il nous l’a montré.

Il nous l’a montré sans ménagement. Je ne prétends pas que son livre soit agréable. Et enfin, je n’ai pas d’amitié pour son livre. De l’admiration, oui : je ne sais pas s’il est possible de conter avec plus d’art. J’ai plus d’amitié pour des livres que je n’admire aucunement. Mais, celui-là, je l’admire, sans l’aimer.


Le roman des Anges gardiens est consacré à une thèse, que voici : ces Allemandes, Anglaises ou Italiennes, si nombreuses à Paris et qu’on charge de veiller sur les jeunes filles, sont tout uniment des filles ; n’ayez pas cela chez vous !

L’on se dit : — Je n’y pensais pas ; et puis cette opinion ne me touche pas beaucoup, n’est pas l’une de celles où mon cœur et mon esprit sont engagés ; que m’importe ?

Vous avez tort, répond le moraliste ; si je vous annonce que la famille française est en péril, à cause des institutrices, comment