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— Voici, dit-elle, deux fresques dont l’une a trait à la fondation du château de Bade et l’autre au temps des croisades. Connais-tu ces légendes ?… Tu secoues la tête… tu ne les connais pas… Et celle-là non plus ? Tu n’aimes donc pas l’histoire ?

— Si, beaucoup ; mais mon père ne veut pas que j’en lise trop. Il m’a défendu les romans de Walter Scott et me fait lire la Bible ou des traités religieux. Je n’en comprends pas beaucoup. Alors je préfère les contes de fées.

— Tu as raison, dit-elle. Revenons donc aux légendes de la Forêt-Noire. Tu vas me montrer celles que tu aimes le plus.

Nous retournâmes à l’aile gauche de la galerie. Comme nous approchions de l’Ondine aux cheveux d’or, qui séduit le berger en jouant de la harpe, j’eus un soupçon de remords et passai devant sans détourner la tête. Je m’arrêtai devant les Nixes du Mummelsee en disant : « Voilà ma fresque préférée ! »

Elle me fit conter les légendes sur ces esprits élémentaires et leur père jaloux, le roi du lac noir. Puis elle murmura en caressant ma tête de sa main :

— Elles sont gracieuses, ces Nixes de la Forêt-Noire et vraiment innocentes. N’est-ce pas que tu aimerais avoir deux ou trois sœurs pareilles à ces jeunes filles ?

— Comme ce serait beau ! m’écriai-je. Nous danserions ensemble dans le jardin, tous les soirs. Mais il faudrait que vous soyez la reine.

— Pourquoi ?

— Parce que vous ne seriez pas jalouse comme le roi.

Elle se mit à rire, et sa bouche sinueuse, d’un rose pâle, découvrit un écrin de perles aussi brillantes que son rire argentin. Puis, avec une douce malice, et comme si elle lisait dans le fond de mes pensées, elle me conduisit devant la fresque de l’Ondine et du berger, en disant : « Maintenant, raconte-moi cette légende-là. »

Je me sentis rougir jusqu’au blanc des yeux et, cachant mon front dans l’étoffe de sa manche, je balbutiai : « Je ne la sais pas ! »

— Oh ! le petit sournois, dit-elle d’un ton indulgent. Ne mens pas… Tu la sais mieux que les autres. Voyons, sois franc… je ne te gronderai pas. Avoue que la belle Ondine te plaît.

Rassuré par ce ton engageant, et bien certain que cette fée bienfaisante ne se fâcherait pas, je m’enhardis subitement et m’écriai en lui serrant le bras :