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Il faut aussi qu’elle atteigne le soldat même, à la caserne, et que, jusque sous l’uniforme, se poursuive la lutte contre la discipline, contre l’armée et contre la patrie. L’envoi des brochures est dangereux et intermittent. Pour communiquer avec les soldats, il faut un déguisement. L’antimilitarisme et l’antipatriotisme à la caserne ont besoin, comme naguère l’anarchisme dans les syndicats, d’une fausse barbe. Cette fausse barbe, ce sera le Sou du Soldat.

Le Sou du Soldat, constitué en 1900 à l’état embryonnaire, se présente alors, grâce à l’équivoque de son titre, comme une œuvre de camaraderie, de mutualité et de philanthropie. C’est ainsi qu’il se présentera, douze ans plus tard, quand il sera menacé de sanctions pénales. Mais, entre temps, sa physionomie réelle a été définie par ses créateurs avec un relief qui ne laisse rien à désirer. Le but est de maintenir un lien entre les syndiqués soldats et les autres. Pour quelle fin ? Ce que nous savons de la doctrine suffirait à nous l’apprendre. Mais les confirmations abondent. Il s’agit de garder les soldats sous la domination des syndicats et, par-dessus tout, d’établir des relations régulières entre eux et les syndicats. Grâce à ces relations, l’esprit syndicalo-anarchiste pénétrera dans les casernes. Grâce à ces relations, les organisations sauront à tout instant sur quels élémens elles peuvent compter dans chaque unité. Grâce à ces relations, la mobilisation révolutionnaire se préparera parallèlement, disons mieux, contradictoirement à la mobilisation nationale.

Résumons à grands traits l’histoire du Sou du Soldat : son caractère ressortira des textes eux-mêmes. En septembre 1900, la C. G. T. adresse aux syndicats un premier appel : il faut « que le soldat ne se trouve pas isolé dans le milieu malsain qu’est la caserne. » Il faut combattre « à tout prix l’action néfaste du régiment ; » il faut « attirer les soldats à la C. G. T., par tous les moyens. » Au Congrès de la Fédération des Bourses tenu à Alger en septembre 1902, l’ordre du jour final est plus explicite : le but du Sou doit être « la propagande antimilitariste par tous les moyens et sous toutes les formes. » À ce même congrès, l’Union syndicale du bronze préconise la constitution d’une caisse de secours aux insoumis. Au Congrès de Toulouse, en septembre 1910, l’organisation est exposée dans son ensemble. Le congrès (adjonction Péricat) engage les syndicats à instituer une caisse du Sou du Soldat ; il décide que « les