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Un premier moyen de propagande, c’est le théâtre et la chanson. L’organisation antipatriotique n’a garde de le négliger. Dès 1894, on trouve à Paris un « Théâtre social, » alimenté de pièces ad hoc par des anarchistes et des syndicalistes. En 1911, la moisson a eu le temps de lever et l’on voit apparaître tour à tour le Théâtre révolutionnaire, le Théâtre du peuple, la Muse révolutionnaire, les Groupes artistiques révolutionnaires, etc. Le répertoire est suggestif : A Biribi, où l’on voit des gradés martyriser des disciplinaires ; le Dragon, histoire de grève, où un soldat tue son capitaine ; Gendarme, où un vagabond reconnaît son frère dans l’officier qui l’arrête, le ligote et s’enfuit en criant : « Vive la liberté ! », l’Aiguilleur, où un cheminot libertaire fait dérailler un train par vengeance sociale ; la Dernière cartouche, où un soldat français, à la frontière, tue son chef, met la crosse en l’air et chante l'Internationale. On peut citer encore la Grève rouge, le Couteau, Sac au dos, Canaille et Cie, Bagnes d’Afrique, Refus d’obéissance, la Dernière Salve, le Bétail, etc. Toutes ces pièces sont jouées et souvent dans les locaux mêmes des Bourses du travail, — qui sont, ne l’oublions pas, subventionnées, — à Lorient, au Havre, à Saint-Étienne, à Marseille (dans cette ville, 32 représentations)[1].

A côté des pièces, il y a les chansons : A bas Biribi ; Ne tire pas, petit soldat ; Paix et guerre ; le fusil Lebel ; l'Hymne à l'anarchie ; le Drapeau rouge ; Gloire au 17e, etc. Le chansonnier Brunswick, dit Montehus, triomphe dans ce genre particulier. Il est l’artiste officiel de la révolution. Qu’on en juge : à Marseille, on affiche dans les rues l’avis que voici : « Les membres du Conseil d’administration de la Bourse du travail préviennent tous les ouvriers syndiqués que Montehus commencera ses représentations au Palais de Cristal le 1er décembre. Venir l’entendre, c’est un devoir pour tous. Le Conseil d’administration insiste auprès des camarades pour qu’ils viennent en masse. Signé : Le Conseil d’administration de la Bourse du travail. » On juge de l’effet que peut produire, dans une atmosphère d’assommoir, cette littérature fratricide.

Mais la propagande sait se faire plus directe. Elle ne s’adresse pas seulement à l’ouvrier dans les réunions et les cafés-concerts, au jeune homme dans les Jeunesses syndicalistes et socialistes.

  1. Par circulaire du 9 février 1912, le ministre de l’Intérieur a enjoint aux maires d’interdire les représentations de ce genre dans les Bourses du travail.