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trouvé dans la personne de M. Touny, directeur de la police municipale, et a déclaré que cet agent, ayant commis une défaillance, l’expierait par sa mise à la retraite. Les radicaux ont triomphé, mais leur triomphe a été court. On connaît les mœurs de notre presse : lorsqu’un homme est l’objet ou le sujet d’un incident quelconque qui attire sur lui l’attention, les reporters se précipitent, le découvrent où qu’il soit et le font parler qu’il le veuille ou non. La surprise de M. Touny a été si grande qu’il n’a pas pu la dissimuler : les ordres qu’il avait donnés étaient conformes aux instructions générales qu’il avait reçues autrefois de ses chefs et qui lui avaient été renouvelées depuis. Le gouvernement, étonné, a aussitôt ordonné un supplément d’enquête, à la suite duquel M. Touny a été maintenu dans ses fonctions et M. Painlevé a adressé au ministère une question nouvelle sur laquelle, pour des motifs restés un peu mystérieux, il n’a pas beaucoup insisté. On assure que, s’il l’avait fait, il se serait exposé à tirer sur ses propres amis de l’entourage du nouveau préfet. Quoi qu’il en soit, M. Barthou a eu assez facilement gain de cause : il a traité l’incident de « minuscule » et dénoncé derechef la manœuvre qui consiste à faire arme de tout pour renverser un ministère qui a lié son sort à celui du service de trois ans. La Chambre a été une fois de plus convaincue et M. le président du Conseil une fois de plus victorieux.

Quelque « minuscule » qu’il soit en effet, l’incident n’en est pas moins significatif. Il est extraordinaire, pour ne rien dire de plus, qu’un agent comme M. Touny ait été dénoncé à la Chambre et condamné devant elle comme il l’a été sans qu’on l’ait entendu, sans qu’on lui ait demandé la moindre explication de sa conduite.. La même pensée est venue à tous les esprits : Ah ! si M. Touny avait été seulement un instituteur, ou un postier, ou tout autre fonctionnaire affilié à un syndicat, avec quelles précautions n’y aurait-on pas touché ! On connaît les mesures prises depuis quelques années pour garantir les droits des fonctionnaires ; ils sont protégés par des conseils spéciaux ; on leur communique leurs dossiers, y compris les pièces les plus secrètes ; on multiplie autour d’eux les sauvegardes. Telle est la règle générale, mais il y a, paraît-il, des exceptions, et la différence est vraiment trop grande, l’opposition et la contradiction trop fortes entre la manière dont on traite les uns et dont on maltraite les autres. Au surplus, les garanties données aux fonctionnaires en sont aussi quelquefois pour le gouvernement : s’il avait interrogé M. Touny, il se serait épargné une bévue. M. le ministre de l’Intérieur et M. le président du Conseil ont mis d’ailleurs la meilleure grâce à reconnaître qu’ils