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Quant à moi, je ne saurais y rien ajouter. Je ne sais pas comment je vis, ni si je pense. Je ne sors de ma torpeur que par des crises de sanglots et de larmes.

Il y a quinze jours aujourd’hui que j’ai respiré le dernier souffle de ces lèvres bien-aimées. Je viens de passer une heure atroce dans cette chambre, devant ce lit où j’ai mis auprès l’un de l’autre son portrait et le mien. A présent, je suis plus calme, et je crois que je vais avoir du courage. — Je comptais rester plusieurs jours à Laroche, mais je n’en ai pas eu la force. — Cette nuit, pour la première fois, j’ai pu dormir quelques heures. D... trouve la bête en assez bon état. Je crois que je vais passer ici tout le mois d’août. Je tâcherai de vous écrire. Aujourd’hui, je veux seulement vous dire merci pour ce que vous avez été, pour ce que vous serez encore, c’est-à-dire le meilleur et le plus tendre des amis.


22 août 1903.

Pardonnez-moi, mon cher ami, de répondre par un mot seulement à toutes vos bonnes lettres dont je suis si profondément touché, mais je suis toujours si misérable, si faible et si lâche ! Je suis accablé de douleur, de fatigue, et d’AFFAIRES. Si simple, hélas ! que soit ma situation, je n’en ai pas fini avec ces formalités interminables qui sont comme l’horrible supplément de ces amères souffrances. Chaque jour je me heurte à quelque pierre, je me déchire à quelque ronce de ce Calvaire où je rencontre à chaque pas de nouvelles douleurs. Ce matin, en relisant une des admirables lettres que mon bien-aimé compagnon m’écrivait, il y a quelques années, pour que je les lise aujourd’hui, il m’a pris une crise de sanglots que mon pauvre vieux serviteur ne savait comment apaiser. Je ne suis pas malade, et je ne comprends pas comment, depuis plus d’un mois, ma vieille tête a pu résister à tant de secousses qui me déchirent le cœur. Il me reste ici des amis qui font tous leurs efforts pour alléger ma misère ; mais la douleur a ses fantaisies et ses caprices ; et après chacune de ces diversions charitables, la retombée sur moi-même est plus lourde et plus cruelle. Les nuits surtout sont terribles. Je dors mal, par courts soubresauts ; et vous comprenez trop bien quelles pensées, quels souvenirs et quelles images viennent hanter mes insomnies. J’entends sans cesse les plaintes de mon pauvre frère pendant ces dernières journées, les mots