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d’une absence de mon frère et me fiant beaucoup trop à un semblant de force qui m’était revenu, j’ai fait, seul, par un soleil ardent, une course un peu trop longue dans la montagne. Le soir même j’ai été pris d’un froid glacial, de douleurs d’entrailles intolérables, accompagnées de vomissemens que rien ne pouvait arrêter. Enfin j’ai pu me reposer au bout de quarante-huit heures, grâce au dévouement de mon admirable compagnon, et aux soins d’un jeune médecin de rencontre qu’il a, heureusement, trouvé sous sa main. Mais j’ai passé là deux jours et deux nuits dont je garde la souvenance ! Cette crise violente m’a laissé, comme vous le pouvez penser, une très grande faiblesse ; et je crois que, pendant les quinze jours que j’ai passés ensuite à Allevard, un marcheur, même moins intrépide que vous, aurait eu facilement raison de moi dans un match athlétique ou dans un record de pédalier !

Comme nous sommes, nous, de bons citoyens et des républicains vertueux, nous sommes venus voter à Paris le 20 août, puis voter derechef au scrutin de ballottage du 3 septembre. Entre ces deux sports démocratiques, nous avons été passer huit ou dix jours au bord de la mer, près de Boulogne ; et enfin le 3 septembre, nous sommes venus nous établir dans notre Roche, où, comme de coutume, nous recevons par série, comme jadis les hôtes impériaux de Compiègne et de Rambouillet, de vieux amis indulgens, les seuls qui puissent se contenter de notre rustique hospitalité. Quand je dis de vieux amis, je me vante ; car, hélas ! tous nos contemporains ont disparu, et ce sont maintenant leurs veuves et leurs filles qui viennent chercher dans notre épicerie de province, comme dans un pèlerinage, des souvenirs de ceux qui ne sont plus. Nous nous efforçons de donner à ce harem respectable, dont nous sommes les gardiens inoffensifs, les distractions honnêtes et modestes qui sont à notre portée. Nous sommes fiers et humiliés à la fois de la confiance sans limites que nous témoignent ces nobles et honnestes dames. Jeunes ou vieilles, pas une d’elles ne nous fait même l’honneur de pousser le verrou de sa chambre. Hélas ! « Tout est-il donc si peu que ce soit là qu’on vienne. »

Mon frère. Dieu merci, intelligence, corps et âme, se porte très bien. C’est un monsieur d’une tout autre trempe, et qui vaut cent fois mieux dans son petit doigt que son cadet ne vaut dans toute sa maigre et triste personne. Vous savez que son