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Il y a surtout un Nouveau Manuel du Soldat, tiré à plus de 150 000 exemplaires, qui est le plus abominable catéchisme d’anarchie et d’anti patriotisme qu’on ait vu dans aucun temps et dans aucun pays. La vraie patrie, y lit-on, « c’est nous-mêmes, ou bien ce n’est rien du tout ; » la fausse patrie, « c’est une religion abêtissante comme toutes les religions. » Le Manuel distingue pourtant les caractères particuliers de cette religion de la patrie au nom de laquelle « on nous enferme pendant trois ans pour faire de nous des esclaves, peut-être des assassins ou des victimes de la brutalité des galonnés... Tant que cette religion imbécile de la Patrie, conclut-il, continuera à nous imposer, c’est-à-dire tant que nous n’aurons pas vu clair dans le jeu de ses prêtres, nous serons encore des esclaves. » Que dire de l’armée ? C’est « la plus affreuse conséquence du patriotisme... La caserne fait de nous une machine à obéir, à astiquer, à marcher au pas... Il faut obéir aux ordres les plus idiots, les plus contradictoires, les plus immoraux, les plus grossiers... Le meilleur officier, le militaire accompli, c’est celui qui se montre en toute circonstance la plus parfaite brute... L’armée n’est pas seulement l’école du crime, elle est encore l’école du vice, l’école de la fourberie, de la paresse, de l’hypocrisie et de la lâcheté. » Et cela continue longtemps ! La plume tremble dans notre main en reproduisant ces phrases odieuses. Les vertus de nos ancêtres, de ces grands soldats qui ont fait la France, et dont quelques-uns ont été parmi les hommes qui ont le plus honoré l’humanité, les noms de Bayard, de Turenne, de Vauban, de Desaix nous reviennent à la mémoire comme une protestation héroïque contre la profanation et le sacrilège commis par ce honteux Manuel qui aboutit, comme il devait logiquement le faire, à prêcher la désertion. Telle est la propagande qui a été faite impunément dans nos casernes depuis une douzaine d’années. Comment n’y aurait-elle pas produit des ravages ? Nos soldats sont de tout jeunes hommes, à peine majeurs, à peine sortis de l’enfance, sans esprit critique, sans défense contre les doctrines qu’on leur prêche, sensibles au bien, mais aussi au mal, souvent incapables de distinguer l’ivraie du bon grain : comment quelques-uns d’entre eux ne subiraient-ils pas les influences coupables contre lesquelles ils sont insuffisamment protégés ? Ce sont donc ces influences elles-mêmes qu’il faut atteindre et supprimer. Si on ne le fait pas, si on hésite, si on tergiverse, nul ne peut répondre de l’avenir. Qu’on mesure, en comparant l’armée d’aujourd’hui à celle d’autrefois, le progrès qu’on y a déjà fait dans la marche à l’abîme. La vieille armée, celle