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l’Italie agirait aussi et elle ne pouvait pas faire autrement ; mais désirait-elle que l’Autriche lui donnât l’exemple qu’elle serait forcée de suivre ? L’occasion était-elle aussi propice qu’on avait pu le croire au premier moment ? Il était permis d’en douter. Ce qui donne à croire qu’on en doutait, à Rome et à Vienne, c’est l’empressement avec lequel on s’y est déclaré satisfait lorsque le Monténégro a annoncé qu’il renonçait à Scutari. Le changement qui s’est produit alors dans les esprits a été d’une spontanéité et d’une rapidité miraculeuses. La veille, le ciel était chargé et surchargé des plus noirs nuages ; le lendemain, il était d’un bleu tendre. Le roi de Monténégro s’était montré une fois de plus un grand magicien. Plus le sacrifice qu’il a fait a dû lui coûter, plus il faut lui en savoir gré. Il a choisi son moment comme le plus habile impressionniste. Tout le monde a poussé un heureux soupir de soulagement en apprenant sa détermination. Des troubles de l’Albanie, il n’a plus été question. Dans l’espace de vingt-quatre heures, Essad pacha, qui avait été présenté comme un brigand dangereux, est devenu le plus correct des hommes : on parle déjà de le faire ministre de la Guerre de la future Albanie. Djavid ne donne pas de moindres satisfactions. Des métamorphoses aussi déconcertantes amènent à se demander si les choses politiques n’existent pas autant dans l’imagination que dans la réalité. On vient de voir qu’il en est quelquefois ainsi pour les plus inquiétantes : espérons qu’il n’en est pas de même pour les plus rassurantes, puisque, maintenant, nous voilà rassurés.

La Réunion des ambassadeurs à Londres a repris ses travaux sous de plus heureux auspices. Son œuvre, qui avait paru un moment bien compromise, a été restaurée et raffermie comme par enchantement. Elle en a profité avec une présence d’esprit dont il faut faire honneur à son président, sir Edward Grey. Sir Edward ne s’est pas contenté de prendre acte du désistement du Monténégro ; il a mis aussitôt sur le tapis la question du statut à donner à l’Albanie, et il a affirmé, avec une approbation générale, le caractère collectif que l’affaire devait avoir jusqu’au bout. Pendant quelque quarante-huit heures, on avait craint de voir se rompre cette action collective de l’Europe ; mais tout est bien qui finit bien. A la vérité, rien n’est fini, et la Réunion des ambassadeurs a encore à régler un certain nombre de questions dont quelques-unes sont infiniment délicates : celle des frontières méridionales de l’Albanie par exemple, et celle des lies de la mer Ionienne. Enfin la paix n’est pas encore signée ; les Puissances en ont préparé les conditions, mais, sur certaines d’entre elles, qu’elles se sont réservé