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intérieurs en même temps que des difficultés extérieures ? Peut-elle oublier que la majorité de sa population, qui est slave, vibre à l’unisson des Slaves du dehors ? Cela oblige le gouvernement austro-hongrois à user d’une politique faite de souplesse et d’adresse en même temps que de fermeté, et il n’a guère usé jusqu’ici que d’une politique faite de force et d’intimidation. Il en a usé, il y a quatre ans, contre la Serbie, ce qui a amené celle-ci à faire l’immense effort militaire dont on vient de voir la manifestation inquiétante, et c’est d’elle encore qu’il a usé contre le Monténégro. Rien n’est plus propre à irriter les Slaves du dedans et à coaliser les Slaves du dehors. L’Autriche n’a pas eu à se féliciter beaucoup de la politique du comte d’Æhrenthal depuis qu’elle en a vu les suites. Celle du comte Berchtold a été plus prudente et plus sage : un moment est venu pourtant où on a pu croire qu’elle allait dévier. Le bruit a couru en effet, et il a pris même une forme semi-officielle, que, si l’Europe n’intervenait pas collectivement pour obliger le Monténégro à évacuer Scutari, l’Autriche le ferait isolément.

Isolément ? Était-ce bien sûr ? Ici s’est placé un fait dont on ne saurait exagérer l’importance ; il a jeté un trait de lumière d’un éclat très vif, non seulement sur le présent, mais sur l’avenir : l’Italie a fait savoir que, si l’Autriche intervenait, elle le ferait également. A dire vrai, rien n’était plus facile à prévoir. Il n’était même pas nécessaire pour cela de connaître les arrangemens qui ont été conclus autrefois entre Vienne et Rome. On a beaucoup parlé de ces arrangemens depuis quelques jours ; on en a même cité le texte ; ils peuvent se résumer en deux mots : le gouvernement autrichien et le gouvernement italien se sont mis d’accord sur le maintien du statu quo en Albanie et ils se sont promis, dans le cas où il viendrait à être troublé, que l’un des deux n’interviendrait pas sans en avoir causé avec l’autre. Cet arrangement est conforme à l’intérêt des deux pays : il l’est même à un tel point que, s’il n’avait pas existé, les choses se seraient passées exactement comme elles l’ont fait. Il suffit de jeter les yeux sur la carte pour comprendre que l’Italie ne peut pas laisser l’Autriche aller en Albanie, que ce soit pour un motif ou pour un autre, sans y aller elle-même, car l’Albanie est en face de sa côte orientale sur la mer Adriatique et, le jour où l’Autriche y aurait pris pied, la liberté de cette mer dépendrait en partie de sa seule volonté. La nature même des choses, la fatalité de la géographie et de la poli- tique ont donc obligé l’Autriche et l’Italie à surveiller l’Albanie et à y combiner, soit leur abstention, soit leur action. Elles n’ont pas