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et la tâche à y accomplir, au grand profit de la civilisation, assez laborieuse pour que deux grandes activités y trouvent leur place. Là encore, les deux pays ont besoin l’un de l’autre. Mais les limites des territoires où leur action parallèle doit s’exercer ne pouvaient pas être fixées du premier coup. Entre ces territoires, il n’y a malheureusement pas de Pyrénées comme en Europe. Quand il n’y a pas de frontière naturelle entre deux pays, la politique doit en inventer une et la meilleure volonté réciproque n’y suffit qu’avec du temps et de la peine. Les premiers arrangemens que nous avions faits avec l’Espagne avaient été hâtifs et superficiels et ils ne pouvaient pas être autres à ce moment : les vraies difficultés ont commencé lorsqu’il a fallu les préciser sur le terrain même. L’opinion, mal éclairée dans les deux pays sur les conditions du problème, s’est laissée aller plus d’une fois à des impatiences regrettables. Par bonheur, les deux gouvernemens n’ont pas perdu un seul instant leur sang-froid au cours des longues négociations qui se sont produites. « Longues et courtoises, » a dit excellemment M. Poincaré, et nous ne retenons aujourd’hui que ce dernier caractère qu’ont toujours les négociations avec l’Espagne, lorsqu’on le veut bien. La plus parfaite courtoisie n’empêche d’ailleurs pas la ténacité à défendre son intérêt : elle en atténue seulement l’âpreté et en adoucit le souvenir. Quand tout est fini, on ne songe plus au passé, mais seulement à l’avenir, et c’est de ce côté que le roi Alphonse XIII s’est résolument tourné. « Voisins jusqu’ici en Europe, a-t-il dit, nos deux pays le seront aussi désormais en Afrique et se réjouiront d’avoir, dans des accords scellés par vous, élargi la voie qui leur permettra d’affermir chaque jour davantage les nombreux liens qui les unissent et de rendre plus étroite leur collaboration à l’œuvre de progrès et de paix. » Ce sont là de bonnes paroles : elles ne nous ont pas étonné de la part du roi Alphonse XIII. Le Roi, en effet, soit qu’il n’ait jamais oublié ses origines françaises, soit plutôt qu’il ait toujours eu un sens profond des intérêts de son pays, a toujours manifesté ses sympathies pour la France. Nous sommes convaincu que, tout en laissant à son gouvernement la pleine liberté qu’il doit avoir dans un régime constitutionnel, son action personnelle n’a pas cessé d’être conciliante. Il a désiré que tout se terminât par un rapprochement plus intime entre Madrid et Paris, et c’est ce désir qui a déterminé son voyage. La lecture des journaux espagnols montre, depuis quelque temps surtout, que l’Espagne ne veut plus rester isolée en Europe. Elle se rappelle ce qu’elle a été ; elle sent ce qu’elle peut être encore ; elle cherche le meilleur moyen d’utiliser