Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnelle et qui sans doute ne les dépasse ou ne les déborde pas assez, mais qui les anime. Autrement dit, on peut regretter qu’ils ne soient qu’eux-mêmes, eux seuls, et non pas nous, chacun de nous et nous tous, mais on doit reconnaître qu’ils sont.

Musique inanimée et froide, il est singulier, il semble paradoxal qu’on puisse qualifier ainsi la musique d’un Berlioz. Elle est pourtant cela dans les pages les plus nombreuses de Benvenuto : pages de mélodie ou de chant, pages également de récitatif. Rien de moins ému que l’air languissant de Teresa au premier acte, si ce n’est, au dernier, certain air, élégiaque et rococo, où Benvenuto se repent d’avoir préféré la carrière aventureuse de l’artiste au bucolique destin du berger. Quelques pages auparavant, un récitatif de Benvenuto, narration de meurtre, de bagarre et de fuite, n’a pas au moindre degré l’accent, le mouvement, l’intensité de la vie, surtout de la vie telle que la comprenait et la menait un Cellini.

Dans une œuvre, même secondaire, pour ne pas dire inférieure, du plus passionné, du plus frénétique des grands artistes, de celui dont l’existence entière ne fut qu’un perpétuel transport, un paroxysme sans relâche, ne rencontrons-nous donc rien de vivant, ni personne ? Si : la foule, ou seulement, quelquefois, tel ou tel groupe choisi. Certain Tersetto demi-bouffe, au premier acte, est animé de la plus vive, de la plus légère gaîté. On trouverait là, pour le dessin et la couleur, une esquisse du quintette pimpant de Carmen : « Quand il s’agit de tromperie, de duperie, de volerie ! » A la fin du premier acte encore, la scène de Fieramosca poursuivi, bâtonné par la troupe des voisines et des servantes, forme un épisode plus développé, mais non moins leste, brillant, pétillant de verve, et d’une verve toute française aussi : quelque chose d’intermédiaire entre l’énorme bagarre des Maîtres Chanteurs et l’éblouissant imbroglio qu’est, dans Falstaff, le finale du panier. Mais le chef-d’œuvre de la partition, chef-d’œuvre musical et dramatique, ou scénique, chef-d’œuvre de vérité et de vie, de vie populaire, est la mascarade nocturne du mardi-gras, à Rome, sur la place Colonna. Vingt élémens, vingt incidens variés composent le tableau sonore ; les mouvemens les plus divers tantôt s’y combinent et tantôt s’y contrarient ; une action tragique (enlèvement, querelle et meurtre) s’y noue et s’y dénoue au bruit d’une fête, devant un théâtre en plein air, à la lueur des moccoli, dans le tourbillon dansant et chantant d’un salterello.

Notre confrère M. Boschot a fort bien parlé de cette scène. En des pages aussi solides que brillantes, il a tout dit sur les origines, la composition