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vivante de sa mère, il s’élevait vers Dieu avec plus de confiance. Lui qui cherchait, dans les choses sensibles, des échelons, pour monter aux réalités spirituelles, il regardait encore cette nature familière avec des yeux amis. Des fenêtres de sa chambre, il voyait les pins de la forêt arrondir leurs têtes comme de petites coupes de cristal à la tige mince et svelte. Sa poitrine cicatrisée respirait délicieusement les odeurs résineuses des beaux arbres. Il écoutait en musicien les ramages des oiseaux. Les scènes changeantes de la vie rustique l’émouvaient toujours. C’est à cette époque qu’il écrivait : « Dis-moi, est-ce que le rossignol ne te semble pas moduler sa voix à ravir ? Est-ce que son chant, si nombreux, si suave, si bien d’accord avec la saison, n’est pas la voix même du printemps ?... »


IV. AUGUSTIN PRÊTRE

Cette halte fut de courte durée. Bientôt va commencer, pour Augustin, l’ère des tribulations, celle des luttes et des voyages apostoliques.

Et d’abord il eut à pleurer son fils Adéodat, ce jeune homme qui promettait de si grandes choses. Il est infiniment probable, en effet, que le jeune moine mourut à Thagaste, dans l’intervalle des trois années que son père y passa. La douleur d’Augustin fut profonde, mais, comme pour la mort de sa mère, il domina son chagrin de toute la force de son espérance chrétienne. Sans doute, il aimait son fils autant qu’il était fier de lui. On se souvient dans quels termes il a parlé de ce génie adolescent, dont la précocité l’épouvantait. Peu à peu, sa douleur s’apaisa, pour faire place à la plus douce résignation. Quelques années après, il écrira, à propos d’Adéodat : « Seigneur, tu l’as promptement retiré de cette terre, mais c’est d’un esprit tranquille que je pense à lui. Mon souvenir n’est mêlé d’aucune crainte, ni pour l’enfant, ni pour l’adolescent qu’il fut, ni pour l’homme qu’il eût été. » Aucune crainte ! Quelle différence avec les habituels sentimens de ces jansénistes, qui se crurent ses disciples ! Tandis qu’Augustin pense à la mort de son fils avec une joie calme et grave qu’il dissimule à peine, ces messieurs de Port-Royal ne pensaient au jugement de Dieu qu’avec tremblement. Leur foi ne ressemblait guère à la foi lumineuse et confiante d’Augustin. Pour lui, le salut c’est la conquête de la joie.