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Nouvel argument en faveur de l’ordre : la discussion de la veille va rebondir.

Cette petite scène familière vaut la peine que nous nous y arrêtions, nous aussi. Elle nous montre un Augustin, non seulement très épris de la beauté, mais très attentif au spectacle du monde qui l’entoure. Les combats de coqs sont encore fort à la mode dans cette société romaine de la fin de l’Empire. La sculpture y avait, depuis longtemps, trouvé de gracieux sujets. Quand on lit ce passage d’Augustin, on se rappelle, entre autres motifs semblables, cette urne funéraire du Latran, où l’on voit représentés deux petits garçons, l’un qui pleure sur son coq vaincu, l’autre qui presse tendrement entre ses bras et qui baise le sien, le coq vainqueur, reconnaissable à la couronne qu’il tient dans ses ergots.

Augustin est toujours très près de ces humbles réalités. A tout instant, les choses extérieures font irruption dans le dialogue du maître et de ses disciples... Ils sont au lit, par une nuit pluvieuse de novembre. Peu à peu, une lueur vague colore les fenêtres. Ils se demandent si c’est la lune, ou la pointe de l’aube... Ailleurs, le soleil se lève dans toute sa splendeur, et l’on décide qu’on ira dans le pré s’asseoir sur l’herbe. Ou bien le ciel se rembrunit : on apporte les lumières. Ou encore c’est l’apparition du diligent Alypius, qui arrive de Milan...

De même qu’il note au passage ces détails fugitifs, Augustin accueille tous ses hôtes dans ses dialogues, il les admet à la discussion : sa mère, son frère, ses cousins, Alypius entre deux voyages d’affaires, et jusqu’à l’enfant Adéodat. Il connaît le prix du bon sens populaire, la divination d’un cœur pur, ou d’une âme pieuse nourrie dans la prière. Souvent Monique entrait dans la salle, où l’on discutait, pour annoncer que le dîner était servi, ou pour tout autre motif. Son fils la priait de rester. Modestement, elle s’étonnait d’un tel honneur :

— Mère, dit Augustin, est-ce que tu n’aimes pas la vérité ? Alors, pourquoi rougirais-je de te donner une place parmi nous ? Même si tu n’aimais la vérité que médiocrement, je devrais encore te recevoir et t’écouter. A plus forte raison, puisque tu as pour elle un plus grand amour que pour moi, et je sais de quel amour tu m’aimes !... rien ne saurait te détacher de la vérité, ni la crainte, ni la douleur, quelle qu’elle soit, ni la mort même. N’est-ce pas, de l’aveu de tous, le plus haut degré