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les autres n’en ont qu’une, inégalité qui a fini par leur devenir intolérable. Le parti libéral et le parti socialiste lui ont attribué les déceptions électorales qu’ils ont éprouvées. Aussi le moment est-il venu où la fraction la plus ardente de ces deux partis a perdu patience et a résolu d’exercer sur les pouvoirs publics la force d’intimidation et de contrainte qui devait résulter de la grève. La fraction la plus ardente, disons-nous, et en effet, sans même parler des libéraux, les chefs les plus intelligens du parti socialiste déconseillaient la grève et ont fait de sincères efforts pour l’empêcher ; mais le mouvement venu d’en bas a été le plus fort et, bon gré mal gré, les chefs ont été obligés de suivre leurs troupes. Ils ont été du moins pour beaucoup, c’est une justice à leur rendre, dans le caractère pacifique que la manifestation a conservé jusqu’à la fin. Un pareil mouvement n’en est pas moins très condamnable. La grève est une arme économique, rien n’est plus dangereux que d’en faire une arme politique : c’est obliger la majorité du pays de céder à une minorité audacieuse et résolue, pour peu que celle-ci ait entre les mains le moyen d’arrêter le fonctionnement d’un organe indispensable à la vie nationale. On voit les conséquences possibles. Le vote plural est d’ailleurs très défendable en bonne doctrine, et peut-être le principal mérite du suffrage universel pur et simple, tel qu’il se pratique chez nous, est-il qu’on ne peut rien depiander au delà, ce qui supprime beaucoup de questions difficiles qui prennent facilement un caractère de violence révolutionnaire. Mais il y a quelque puérilité à croire que le suffrage universel égal pour tous les citoyens soit une panacée : les libéraux et les socialistes belges s’en apercevront, à leur tour, quand ils l’auront.

Quoi qu’il en soit, on ne saurait admettre que des questions de ce genre soient résolues par l’intervention menaçante d’une seule classe de la société, de la classe ouvrière, et le gouvernement belge a eu raison de dire qu’il ne céderait pas devant une intimidation de cette nature. Il a fait cette déclaration aux bourgmestres qui étaient venus l’entretenir de la situation : ceux-ci en ont conclu un peu vite que, si la menace était retirée, le gouvernement céderait. Le parti socialiste a fait savoir alors qu’il renonçait à la grève ; mais il entendait le faire conditionnellement et, ne voyant rien venir du côté du gouvernement, il s’est cru joué. Rien n’a pu dès lors le retenir : la grève a été déclarée. Le chef du Cabinet, M. de Broqueville, avait dit pourtant que, si la Commission chargée d’étudier la loi électorale provinciale et communale trouvait, au cours de ses travaux, une « formule meilleure » pour les élections législatives elles-mêmes, il ne s’opposerait