Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puiser. De là l’apparence d’inconsistance et de faiblesse dont on lui a fait un grief. Qui donc pourrait aujourd’hui trouver excessif qu’elle reste fidèle à elle-même sur la question de Scutari ?

Mais, pendant que nous écrivons, les événemens se précipitent et introduisent dans une situation déjà compliquée et précaire des élémens nouveaux. Nous avons dit un mot de l’entreprise audacieuse d’Essad pacha et de sa connivence avec le roi de Monténégro : qui peut prévoir ce qui en sortira ? Tout ce qu’on peut assurer, c’est que, si l’accord des Puissances était hier la meilleure et même la seule garantie de la paix, il le sera encore plus sûrement demain.


Il nous reste bien peu de place pour parler comme il aurait convenu du grave événement qui vient de se produire en Belgique, mais nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir. Après des incidens dont chacun aurait mérité de notre part une attention particulière, une grève ouvrière, qui avait la prétention d’être générale, a éclaté et s’est continuée pendant dix jours. Générale, elle ne l’a pas été et sans doute elle ne pouvait pas l’être ; les tentatives de ce genre qui ont été faites, chez nous ou ailleurs, ont toujours échoué et il est même vrai de dire qu’en France du moins, les grèves qu’on avait annoncées comme devant être générales ont été moins malfaisantes que beaucoup de grèves particulières. Il est heureusement chimérique de vouloir suspendre toute la vie économique d’un pays. Si on y réussissait, le résultat serait le même que celui qui se produirait dans un corps humain où on suspendrait la respiration. La nature des choses ne se prête pas aux expériences de ce genre et, en Belgique, c’est tout au plus si le tiers, d’autres disent le quart des ouvriers ont interrompu leur travail. La vie nationale n’en a pas été arrêtée. Mais si la grève a été partielle, elle a été imposante et impressionnante. Elle est d’ailleurs restée parfaitement calme depuis le premier jour jusqu’au dernier : on peut toutefois se demander ce qui serait arrivé si elle avait duré quelques jours de plus et si, à l’ardeur croissante des esprits, étaient venues s’ajouter les souffrances qu’entraînent la misère et les privations.

Quel en a été l’objet ? Les ouvriers demandaient-ils, sur un point quelconque, l’amélioration de leur situation ? Non, et c’est là ce qui fait l’originalité de cette grève : les ouvriers demandaient le suffrage universel ou, pour parler plus exactement, l’égalité devant le scrutin. Tous les citoyens, en effet, ont le droit de vote en Belgique, mais les uns disposent de deux voix, quelquefois même de trois, tandis que