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les uns aux autres, mais qui a conscience d’une nationalité un peu confuse et qui comprend, à côté d’orthodoxes, un grand nombre de musulmans et de catholiques. La Réunion des ambassadeurs à Londres n’aurait pas duré huit jours, si le droit de l’Albanie, soutenu par l’Autriche, n’avait pas été reconnu. L’Autriche toutefois ne s’en est pas tenue là : elle a demandé avec insistance que Scutari restât à l’Albanie dont elle est depuis longtemps la capitale. Sans Scutari, l’Albanie aurait été décapitée et son sort ultérieur, déjà si incertain, serait devenu encore plus précaire. Cependant les autres Puissances ne se sont pas ralliées au point de vue autrichien par simple condescendance envers l’Autriche. Comme nous l’avons dit il y a quinze jours, sir Ed. Grey a fait valoir d’autres argumens. Scutari n’est pas, par sa population, une ville slave, mais bien vraiment une ville albanaise, et le Monténégro, qui la revendique, ne peut invoquer à son profit que le droit de conquête, tandis que l’Albanie peut invoquer le droit des nationalités. Aux yeux de l’Angleterre et de l’Europe, c’est le second qui est le plus légitime. Il faut bien qu’il apparaisse tel, puisque la Russie elle-même en a senti la force. Son cœur l’inclinait du côté du Monténégro, sa raison l’a ramenée du côté des autres Puissances. On peut dire que la solution a été entre ses mains. Si elle s’était opposée à l’attribution de Scutari à l’Albanie, la France, se plaçant au point de vue de l’intérêt de son alliance, ne se serait vraisemblablement pas séparée d’elle et il est à croire aussi que l’Angleterre ne se serait pas séparée de la Triple entente pour manifester avec la Triple alliance. Mais alors, quelle responsabilité pour la Russie ! La guerre, et une guerre dont on ne pouvait pas mesurer l’étendue, risquait de jaillir de la situation qu’elle aurait créée. La Russie l’a compris : on ne saurait trop lui en savoir gré.

Les choses n’en sont pas restées là. Si la Russie a eu quelque mérite à prendre la résolution qu’elle a prise, elle en a eu aussi à s’y tenir fermement, car elle y a trouvé des résistances. On n’a pas cru tout de suite, et partout, à ce que cette résolution avait de définitif. Le parti panslaviste est aussi puissant en Russie et aussi agité que le parti pangermaniste l’est en Allemagne ; il essaie, lui aussi, d’agir directement sur le gouvernement, et même sur la diplomatie ; il y réussit, dit-on, quelquefois. On assure, par exemple, qu’à Belgrade le gouvernement serbe a pu se tromper pendant quelque temps sur les véritables intentions du gouvernement russe, avec lesquelles il ne croyait pas s’être mis en contradiction en soutenant les Monténégrins dans le siège de Scutari. L’Europe a traversé alors quelques journées