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plifié la situation. Le premier mouvement en Europe, sauf en Autriche et en Allemagne, a été d’applaudir à la vaillance de ce petit peuple qui s’est obstiné dans son action militaire et qui, abandonné de ses alliés, en opposition avec toutes les grandes puissances, a couronné un siège de six mois par un assaut victorieux. Depuis, le bruit a couru qu’il n’y avait pas eu d’assaut du tout et que la capitulation de Scutari avait été le résultat d’un maquignonnage politico-militaire entre le roi de Monténégro et Essad pacha. Ce dernier, sorti de la place à la tête d’une armée de 25 000 hommes, se serait proclamé à lui tout seul roi, ou plus modestement prince d’Albanie. Cela diminue singulièrement les mérites du roi Nicolas, qui ne peut plus invoquer comme un titre le sang glorieusement versé pour s’emparer de Scutari. Quant à l’entreprise aventureuse et aventurière d’Essad pacha, on ne saurait, dès aujourd’hui, en prévoir les conséquences. Tout ce qu’on peut dire, c’est que l’Europe était unie hier et qu’il faut souhaiter qu’elle le soit encore demain. Si cette union se maintient ferme et unanime, la chute de Scutari n’aura été qu’un incident. Si, par malheur, elle ne se maintenait pas, l’horizon se couvrirait de nuages et l’orage qu’on a jusqu’à présent conjuré risquerait fort d’éclater.

Il est indubitable que toutes les Puissances n’ont pas ici le même intérêt, mais la plupart d’entre elles n’en ont pas de contraires, quelques-unes même n’en ont pas du tout, et c’est ce qui leur a permis de conclure entre elles un accord qui a été jusqu’ici la sauvegarde de la paix. L’organe de cet accord a été la Réunion des ambassadeurs à Londres. On a beaucoup critiqué son œuvre, on a relevé ses contradictions apparentes, on a souligné les démentis qu’elle a reçus des événemens. L’histoire lui rendra meilleure justice parce qu’elle ne confondra pas, comme on le fait si volontiers au cours des événemens, le but avec les moyens. Les moyens peuvent varier beaucoup, il suffit que le but soit immuable, et le but, ici, a été l’accord des Puissances dans une politique commune. Le jour, en effet, où une première d’entre elles, qui, dans les hypothèses qui se sont présentées, aurait été vraisemblablement l’Autriche-Hongrie, aurait pris une initiative isolée dans un sens déterminé, tout porte à croire qu’une seconde, qui, dans les mêmes hypothèses, aurait été vraisemblablement la Russie, aurait pris une initiative en sens inverse. Qu’auraient fait alors les autres ? Il serait difficile de le dire avec certitude pour certaines d’entre elles, mais l’Allemagne a fait savoir à diverses reprises, et même avec une affectation significative, qu’elle se rangerait toujours du côté de l’Autriche et qu’il en arriverait ce qu’il plairait