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monstrueux, une élégance qui n’est peut-être point inférieure à celle des dédicaces en usage dans la république des lettres.

Le succès d’Amundsen a été obtenu par des moyens simples : pas d’automobiles, d’aéroplanes, d’appareils et de matériel ultra-modernes, comme d’autres expéditions en ont utilisé ; des chiens esquimaux, des traîneaux primitifs, des skis, et surtout, ce qui assura le succès, des dispositions de détail minutieusement arrêtées à l’avance de façon à ne rien laisser au hasard. « C’est, comme l’a dit Nansen, le triomphe de la volonté d’un homme au dessein immuable ; » et Nansen ajoute avec un orgueil bien légitime : « Cette œuvre est le produit de la culture norvégienne des temps anciens et modernes, de la vie hivernale du Norvégien, de sa pratique constante du ski et du traîneau. »

Un mois environ après l’arrivée d’Amundsen au pôle, Scott y parvenait à son tour après avoir poursuivi l’itinéraire de Shakleton et y trouvait les documens laissés par son émule. Ce que fut son tragique retour, rendu plus pénible et plus lent par la maladie de deux de ses compagnons qu’il se refusait à abandonner et dont l’un, pour ne plus gêner la colonne, s’alla délibérément jeter dans la tempête pour y mourir « en vrai gentleman anglais ; » ce que furent ensuite les conditions météorologiques épouvantables, les tempêtes et les terribles blizzards joints à la famine, qui firent périr après d’atroces souffrances les explorateurs à quelques kilomètres seulement de leur troisième dépôt de vivres, et alors qu’ils avaient parcouru déjà les cinq sixièmes de leur voyage de retour et touchaient presque au but, le monde entier l’a appris par le message si plein d’héroïque simplicité que Scott agonisant écrivit de ses mains glacées et défaillantes. Ces hommes surent mourir d’une manière qui honore l’humanité, et Plutarque eût célébré leur grandeur d’âme.

Mais la valeur et l’énergie les plus sublimes ne sont pas tout en ces matières, et si nous faisons la part des faits défavorables et fortuits, de la maladie et de la tempête, il faut bien reconnaître que Scott, dans la préparation de sa marche du pôle, avait négligé certaines précautions qu’Amundsen avait prises et qui, dans des circonstances identiques, eussent sans doute sauvé celui-ci. Voici la plus essentielle, et qui nous dispensera de parler des autres : Scott avait, dans une course préliminaire vers le Sud et en prévision du retour, établi trois dépôts de vivres dont le plus méridional se trouvait à 230 kilomètres environ des quartiers d’hiver de son navire et à plus de 1 100 kilomètres du pôle. Amundsen au contraire avait, grâce à des d’efforts dont il savait tout le prix, élabli six dépôts de vivres dont le dernier se trouvait à