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connaitre, de le comprendre, de le traduire à soi et aux autres, que de lui appliquer les lois de l’intelligence, qui s’appliquent aussi à l’activité et au sentiment. L’intelligence n’est pas en dehors du réel ; elle est le réel même parvenu à l’existence pour soi. La philosophie, étude du réel, est donc nécessairement intellection, non pas sentiment et volonté, quelque part qu’elle doive faire au sentiment et à la volonté. C’est par des inductions méthodiques qu’elle doit faire cette part, non en se laissant guider par des impressions vagues ou de vagues divinations. Tout, en philosophie, doit être motivé et raisonné, ce qui ne veut nullement dire que la philosophie doive réduire toute l’étude de la réalité à la pure raison ou à de pures idées de la raison. Non, elle doit seulement partir de ce principe qu’il y a en toutes choses de l’intelligible, et que rien ne peut se produire en dehors des lois posées par l’intelligence comme universelles. : identité et causalité. La tâche de la philosophie, comme celle de la science, c’est de mettre de plus en plus en évidence la profonde rationalité des choses. Elle ne sépare jamais réalité et intelligibilité, vie et lumière ; elle aussi a pour devise : Fiat lux !

Par cela même qu’elle est ainsi la plus spéculative de toutes les spéculations, la philosophie est aussi la plus pratique de toutes les pratiques. Il y a en elle identité entre l’acte le plus haut de la pensée et l’acte le plus haut de la moralité ; de part et d’autre, c’est le désintéressement absolu, c’est le moi s’identifiant avec le tout. La philosophie, connaissance des réalités vraies, est donc du même coup affirmation et même génération des valeurs vraies. Pour rendre la philosophie réellement pragmatique, gardons-nous de la rabaisser à la poursuite de l’utile et du commode. C’est précisément parce qu’elle se déprend entièrement de nos utilités, de nos commodités, de nos fins humaines, qu’elle nous élève a la vie morale et nous révèle des fins plus qu’humaines. Après s’être demandé ce qui est réellement réel et vraiment vrai, elle se demande ce que vaut le réel, ce que vaut le vrai, ce que vaut le monde entier, ce que vaut la vie, ce que vaut l’intelligibilité découverte par l’intelligence dans le monde et dans la vie. En un mot, le dernier des problèmes philosophiques, c’est le problème du bien. Toute interprétation de l’existence est en même temps une évaluation de l’existence.

Il est clair que cette évaluation, une fois faite, doit dominer