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activité profonde. L’objet de la philosophie ne saurait être épuisé de la même manière, parce qu’il y a dans la réalité autre chose que de l’intelligence, à savoir de l’activité plus ou moins aveugle ou clairvoyante, de la sensibilité plus ou moins sourde ou aiguë, enfin des formes instinctives d’adaptation qui diffèrent de l’entendement réfléchi. Toutes ces puissances du réel ne sont pas sans un rapport profond avec les lois essentielles de l’intelligibilité, qui les dominent comme elles dominent tout le reste.

C’est d’ailleurs en nous-mêmes que nous en trouvons le type, c’est en nous que nous voyons l’activité et la volonté à l’œuvre, c’est en nous que nous sommes témoins du plaisir et de la peine, des émotions plus ou moins confuses, du bien-être ou du malaise indistincts, du sentiment continu, quoique confus, de la vie animale et végétative. Toutes ces manifestations de l’être, qui ne sont pas intellectuelles, nous les affirmons cependant intelligibles, parce qu’elles sont toutes soumises aux deux grandes lois de l’intelligence : identité et causalité. Nous avons beau ne pas toujours voir les causes de nos sensations et émotions, de notre humeur gaie ou triste, de nos tendances obscures et subconscientes, de nos volitions spontanées ou même réfléchies : nous sommes certains que ces causes existent, que tous nos états ou nos actes ont leurs raisons suffisantes et que, de plus, pas un d’eux ne porte la contradiction dans son sein, quelque contraires qu’ils puissent paraître entre eux. C’est d’après tout ce que nous trouvons dans notre conscience et pressentons dans notre subconscience que nous pouvons nous représenter et essayer de nous expliquer la vie dormante du minéral, k vie à demi éveillée du végétal, la vie de plus en plus vigilante et remuante de l’animal.

Nous n’avons donc pas besoin de facultés mystérieuses pour pénétrer dans le réel ; nous n’avons besoin ni d’intuitions supra-intellectuelles, ni d’instincts supra-intellectuels, ni de sympathies supra-intellectuelles. Le fil de l’analogie avec notre conscience ne nous abandonne jamais dans le labyrinthe de la Nature. S’il nous abandonnait, n’ayant point d’ailes pour fuir en l’air, nous n’aurions plus qu’à nous arrêter, impuissans et silencieux, nous resterions à jamais perdus dans les ténèbres. Cherchons donc toujours et partout, sinon l’intellectuel, du moins l’intelligible. La philosophie est sans doute l’âme tout entière appliquée à pénétrer le réel, mais elle n’a d’autre moyen de le