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REVUE DRAMATIQUE


Porte-Saint-Martin : Reprise de Cyrano de Bergerac. — Vaudeville : Hélène Ardouin, comédie en cinq actes par M. Alfred Capus. — Bouffes-Parisiens : Le Secret, pièce en trois actes par M. Henry Bernstein.


Si vous avez jugé inutile d’aller à la reprise de Cyrano de Bergerac, vous donnant pour prétexte à vous-mêmes que vous savez la pièce par cœur et que vous avez encore dans l’oreille le clairon de Coquelin, hâtez-vous de vous déjuger et d’y courir ! La plus grande joie que puisse éprouver un lettré vous y attend : celle de trouver des raisons nouvelles d’aimer une œuvre déjà chère. A la faveur d’une autre interprétation, elle prend un autre aspect. Des parties qui étaient en pleine lumière s’estompent, passent au second plan ; d’autres émergent, s’éclairent, attirent et fixent le regard. La tonalité générale est différente. Donc, un peu avant la « millième » qu’on fêtera dans quelques jours, donnez-vous le plaisir et l’émotion de « découvrir » Cyrano !

La création de Coquelin reste magnifique et inoubliable. Il avait fait de Cyrano le type du fantoche truculent. Il l’avait campé en héros du ridicule, tirant sa force et sa grâce de ce ridicule même qu’il pousse au sublime. Il accusait le comique du rôle, le soulignait, l’accentuait, le renforçait : il en rajoutait. Telle était l’ampleur de ce comique et telle en était la surabondance, qu’il débordait sur toutes les autres parties. On applaudissait à la bravoure de Cyrano, mais en riant de ses bravades. Ses ripostes les plus fières et ses plus authentiques exploits prenaient un air de fanfaronnades. Les passages de rêverie semblaient n’être mis là que pour les besoins du contraste. Ceux de tendresse et de tristesse étaient emportés par le flot tout-puissant de la belle humeur : c’était le lyrisme qui jaillissait du burlesque,