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ouvrage, fils des nuées comme le héros dont il porte le nom. C'est, entre autres, la fin du prologue, où le système du leitmotiv est comme toujours appliqué, mais d'une main si légère, que le travail, ailleurs difficile, pénible même, ne paraît plus qu'un jeu. C'est encore le prélude du tableau suivant (les jardins enchantés de Guilhen),une page symphonique exquise, sans obscurité, sans rudesse, où la musique, loin de se raidir, se détend, s'abandonne et, pour ainsi dire, se laisse aller. Avec, ou malgré cela, rien ici qui se relâche ou se néglige : autant de tenue, de noblesse, que de charme et de caressante douceur. La poésie même, celle de la nature et celle de l'âme, pare certains détails cachés dans l'austère partition. Lorsque Mentor-Arfagard vient arracher des bras de Guilhen son élève émancipé, qui s'y oublie, il l'avertit qu'il l'attendra là-bas, « à la porte de pierre, » et, rien que sur ces mots, l'intonation, le tour mélodique de l'appel sonore, donne je ne sais quoi d'étrange et de presque fatal à l'énoncé de l'importun rendez-vous. Un pâtre enfin, qui passe à travers le brouillard, est un passant mélodieux. Son chant, de couleur populaire, flotte à dessein, comme la brume, dont il a le vague et le mystère. Il est fait de peu de notes, choisies, expressives, que peu de notes aussi, de l'orchestre le plus sobre, soutiennent mais n'écrasent point. « Salut, berger ! » lui dit Arfagard, et nous saluons volontiers nous-même, attentif et près d'être ému, ce frère de tant de bergers qui chantent, ceux de Sapho, de Mireille, de Tannhäuser et de Tristan, mêlés à des infortunes tragiques, que leur cantilène rêveuse rend plus tragiques encore

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Et cependant ! Cependant ! Combien le reste, presque tout le reste de l'ouvrage, après seize ans, nous paraît encore difficile à faire vraiment nôtre! C'est un art escarpé que cet art. Art d'agrément, dit-on quelquefois de la musique. Et sans doute c'est trop peu dire, beaucoup trop, infiniment trop peu. Mais l'agrément finira-t-il par n'y plus compter pour rien ! Que la musique soit un très noble divertissement et, si l'on veut, le plus noble, à la bonne heure. Mais puisse-t-elle ne pas renoncer tout à fait, — dans le sens également le plus noble du mot, — à nous. « divertir. » Nous ne souhaitons pas qu'elle s'abaisse, mais qu'elle s'incline seulement ; au lieu d'eff"aroucher, qu'elle attire et qu'elle accueille. Gardons-la des gens du commun, mais ne la réservons pas aux gens du métier. Il y en a d'autres, les honnêtes gens, comme on les appelait naguère, qu'elle peut, qu'elle doit charmer et réjouir. Prendront-ils plaisir à Fervaal ? « Ein Mann wie ander mehr, » a dit Gœthe de son Faust : « Un homme comme bien d'autres. » Eh bien ! cet homme-