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M. Henri Lavedan excelle à porter à la scène de nobles conflits d’idées, comme jadis son confrère Aristophane fit dialoguer le Juste et l’Injuste. Dans le Duel, il exécutait ce tour de force de mettre aux prises la science et la foi et d’émouvoir une salle de spectacle par la discussion d’un problème de métaphysique. C’était le moment où diverses circonstances de la vie publique posaient avec le plus d’acuité la question religieuse. Aujourd’hui l’idée vers laquelle sont tendus les esprits est surtout celle du devoir patriotique. La patrie est d’actualité. C’est elle dont le personnage mystique, la grande figure invisible et présente domine la nouvelle pièce de M. Lavedan : Servir.

Ce qu’il faut noter avant tout, c’est la belle franchise, la coquetterie d’intransigeance artistique avec laquelle l’auteur a traité son sujet. Ni ornemens, ni atténuations, ni escamotages. Chacun sait qu’il existe un genre de pièces patriotiques qui, par un jeu convenu d’images et de pensées réconfortantes, provoquent l’applaudissement irrésistible et facile. M. Lavedan a répudié avec une espèce d’horreur tout ce clinquant. Il a voulu aller jusqu’au bout de l’idée choisie par lui, en développer tout le contenu, la présenter sous son aspect le plus austère, le plus âpre, rendre d’autant plus forte la preuve et plus convaincante la démonstration. Servir le pays est un de ces devoirs absolus, un de ces impératifs catégoriques, un de ces ordres qui n’admettent nulle discussion, quel que soit le service qu’exige de nous le pays, et quelle que soit la façon dont il reconnaît nos services ; voilà ce qu’il fallait rendre sensible et tangible à la scène. L’officier qui gagne ses galons sur le champ de bataille fait besogne de héros ; encore est-il entraîné, encouragé par l’enivrement de la lutte et par une espérance de gloire. Mais supposez que sa carrière toute d’honneur et de dévouement soit brisée, et brisée par le plus vil des instrumens, la délation ! L’ingratitude nationale et l’injustice de ses chefs ne le libèrent pas de cette obligation : servir et servir quand même. Supposez alors qu’un seul moyen de servir s’offre à lui, consistant à se cacher, se déguiser, surprendre et livrer des secrets, en un mot faire ce métier d’espion qui nous inspire une invincible répugnance. Il acceptera le louche moyen pour la fin sublime. Sa devise est : « Quand même ! « — Voilà à peu près le chemin par lequel l’auteur a été amené à choisir, pour incarner en lui le type de la servitude et de la grandeur militaires, non pas un officier dans le brillant de l’action guerrière, mais un officier auquel on a retiré son emploi et qui fait, dans l’inaction de la paix, métier d’espion.

A ce farouche représentant du devoir envers la patrie, quel partenaire