Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jeanne refuse d’accompagner son mari à une soirée chez les Steinbacher, et décide d’assister à la réunion électorale de Blanche Virieu. C’est sa déclaration de guerre. Les hostilités sont commencées. Vainement, avec la clarté de l’évidence, Paul objectera-t-il que sa femme n’a ni obligation ni excuse d’aucune sorte à figurer dans une réunion ridicule et inutile, en compagnie d’utopistes, d’hystériques ou de folles, et qu’au contraire elle a le devoir d’aller chez des amis qui peuvent rendre service à son mari. « Nous n’avons plus qu’à divorcer, » s’exclame cette épouse à bout d’argumens. Mais le mari, qui, lui, ne souhaite pas le divorce, mais les enfans qui en souffriront ? Rien ne compte plus, au point où en est Jeanne — disons : de son développement intellectuel. « A mesure que je prenais conscience du monde, de la société et de moi-même, j’ai senti naître en moi un singulier désir de liberté, un véritable besoin d’indépendance. L’état de servitude dans lequel est enfermée la femme mariée, l’incapacité dont elle est légalement frappée, me sont apparus des choses monstrueuses et que je ne peux plus supporter. Quand tu m’ordonnes ou quand tu me défends quelque chose, quand tu exerces ton autorité, ce n’est pas de l’impatience que j’éprouve, ni même de la colère, mais c’est de la souffrance, une véritable souffrance. Voilà. » D’ailleurs elle n’aime personne. Elle ne rompt pas son mariage pour en contracter un autre. Elle n’obéit qu’à des motifs tout rationnels. Quand on a des idées, c’est pour les appliquer. Jeanne Dureille divorce pour être féministe, encore féministe, rien que féministe.

Nous en aurons tout de suite la preuve au second acte où l’heureuse divorcée s’est meublé un appartement dont la décoration à elle seule est un manifeste. Des tons qui hurlent, des dessins puérils, c’est le genre ballet russe, le seul qui convienne à une femme d’avant-garde. Car M. Maurice Donnay en fera la très juste remarque : tout se tient. Et maintenant, aimez-vous les féministes ? On en a mis partout. L’une amenant l’autre, elles ont envahi toute la maison, du salon où pérore Blanche Virieu, à l’office où la cuisinière est du choix de Blanche Virieu déjà nommée. Il y a Rose Bernard, qui est médecin et Lucienne David, qui est avocat. Il y a Charlotte Alzette, née à Montmartre, grandie parmi les nudités d’un atelier de sculpteur, romancière de profession, dont le talent sincère, oh ! combien ! consiste à oser tout ce qu’on ne permettrait pas à un romancier. Il y a encore Germaine Luceau, qui est une vieille connaissance à nous, et Mrs Schmidt, suffragette anglaise ; car il en vient de l’étranger, et qui ne sait que les grands courans d’idées sont internationaux ? Notre néophyte du féminisme,