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nous étions nés non pour la spéculation, mais pour vouloir, et certaines de ses observations font penser à ces analyses bergsoniennes dont M. Le Roy a entretenu les lecteurs de la Revue des Deux Mondes dans deux beaux articles. Bien plus : il a même soutenu quelques idées qui semblent annoncer celles de William James. Quand il conçoit le monde comme quelque chose de malléable à l’achèvement de quoi l’homme peut contribuer, quand il met au faîte de la morale un pari qu’il est beau de tenir, parce qu’il est beau de contribuer à fortifier dans l’univers les chances du bien, il parle comme un pragmatiste aventureux. Et cependant, lorsqu’il a eu connaissance des livres de M. Bergson, lorsqu’il a lu les études de James et des pragmatistes, Alfred Fouillée a pris la plume et il a consacré son dernier livre à les critiquer. Lui qui avait commencé par libérer la psychologie du rationalisme abstrait, il a voulu la retenir dans une voie qu’il jugeait périlleuse. Il a commencé par être un empiriste, mais il n’est pas allé jusqu’au bout de son empirisme.

On est donc autorisé à considérer Fouillée comme partisan d’une théorie d’essence intellectualiste. C’est ce qu’a fait M. Emile Boutroux dans son rapport sur la Philosophie française depuis 1868. C’est ce qu’a fait Alfred Fouillée lui-même en écrivant : « Nous sommes le premier à reconnaître que la philosophie des idées-forces est intellectualiste en même temps que volontariste : c’est sa caractéristique même. L’intelligible au sens de discernable et d’explicable pour la conscience et par la conscience, doit se retrouver selon nous au cœur de tout ce qui offre distinction et différence, soit d’existence, soit de qualité, soit de quantité, soit de relation. » Sans doute, c’est là un intellectualisme spécial, rajeuni et fortifié par un sentiment plus précis du réel : mais c’est encore une théorie qui accorde (aux idées la vertu mystérieuse d’agir par elles-mêmes sur la volonté, de nous mener naturellement, d’influer nécessairement sur le désir et sur le sentiment. La psychologie contemporaine conteste précisément cette théorie. Le lecteur curieux de ces questions verra, dans le livre si précieux pour l’étude du mouvement des idées contemporaines qu’a écrit M. J. Bourdeau sur la Philosophie affective, que, à ce sujet, les conclusions idéalistes de M. Bergson, les conclusions physiologiques de M. Ribot, et les travaux des psychologues sur la vie inconsciente sont d’accord. Notre vraie nature n’est pas faite de nos idées, de nos principes, de nos intentions ;