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On sort d’une lecture des livres d’Alfred Fouillée à la fois respectueux de la richesse de théories si souvent généreuses et incertain de l’idée maîtresse qui les régit. Les citations nombreuses qui ont été faites au cours de cette étude ont pu donner au lecteur une impression de ce qu’était l’éloquence de l’écrivain et la flamme dont les reflets courent sur ses phrases. L’œuvre accomplie est ample et diverse. Mais, comme elle est dominée par la théorie des idées-forces, elle vaut dans l’ensemble ce que vaut cette théorie. Beaucoup de pages dans le détail et des plus brillantes, beaucoup d’analyses sur la notion de droit, sur la notion de liberté, peuvent sans doute avoir leur mérite propre. Mais l’armature de toute cette philosophie, c’est une théorie intellectuelle.

Or elle est l’objet d’une discussion, qui s’est beaucoup précisée en ces dernières années. Alfred Fouillée admet que tous les élémens de la connaissance et de la vie sont intelligibles, et l’idée-force, bien qu’elle enveloppe de la volonté et de la sensibilité, est tout de même quelque chose d’intellectuel. Au contraire, les théories les plus récentes invitent à croire qu’il y a entre la vie intellectuelle et la vie affective une différence essentielle. Ce n’est pas seulement l’opinion soutenue par M. Bergson ; c’est l’opinion d’un psychologue qu’on n’accusera pas d’être métaphysicien, M. Th. Ribot. Dans ses derniers ouvrages, M. Ribot, exposant les résultats de ses plus récentes recherches, qui sont comme on sait des expériences de laboratoires, et qui s’expriment par des observations de faits, conclut qu’il existe une vie affective pure, autonome, indépendante de la vie intellectuelle. Alfred Fouillée s’est toujours refusé à faire cette distinction.

Cette attitude est d’autant plus caractéristique qu’il a été un des premiers à réagir contre l’excessif intellectualisme de la psychologie de son temps. Il l’a fait remarquer lui-même dans son dernier livre : il a essayé, avant que les études de M. Bergson n’eussent paru, de définir à sa manière la continuité de la vie psychologique, de montrer dans la conscience une série d’états intellectuels, sensibles, volontaires, créant un courant qui, atout instant, a sa nouveauté ; il a admis que, à ses débuts du moins, la vie ignore la contemplation et qu’elle est tournée vers l’action ; que