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que les élites étaient nécessaires, et rappelait sans cesse que l’égalité vraie consiste à traiter également les égaux et inégalement les inégaux.

Dans cette lutte pour les hautes traditions de l’Université qui lui tenaient au cœur, il réservait un rôle privilégié à la philosophie. Le goût qu’il avait de la littérature ne l’empêchait pas de lui mesurer la place dans l’enseignement. Il éprouvait pour les grâces du dilettantisme et de l’impressionnisme, pour tout ce qui lui semblait activité de jeu, une antipathie qui l’a rendu parfois bien dur pour Renan. Il allait jusqu’à regretter que Taine eût consacré sa vie aux travaux d’histoire et de critique, au lieu de continuer à philosopher. Il déplorait les abus de la philologie, au nom de laquelle on prétendait enseigner à des enfans les élémens de la phonétique du moyen âge, et leur faire lire des textes anciens publiés d’ailleurs par des savans allemands. Il critiquait la manière érudite, et la manie documentaire par où risquait de se distinguer l’enseignement de la littérature française. Par la philosophie, disait-il, on pourrait corriger les abus du pur savoir et sauvegarder la spontanéité intellectuelle. Et sans doute se faisait-il quelques illusions bien naturelles sur l’enseignement qui lui était le plus cher. Mais pour lui, cet enseignement était destiné à suppléer les croyances religieuses, là où elles s’affaiblissaient. Ne faites apprendre aux élèves, disait-il, que ce qu’ils ont besoin de retenir, soit au point de vue individuel, soit au point de vue social, ou ce dont ils retiendront au moins une impression esthétique et morale. Il entendait que la fin suprême de l’enseignement était le culte rationnel et philosophique des idées, qui, d’après sa théorie, sont directrices des sociétés, et ont en elles la force de modifier les caractères individuels et les conditions sociales.

Ainsi tout s’ordonne logiquement dans les théories de Fouillée. Parti de la définition des idées qui tendent à se réaliser en se concevant, il en a tiré une conception de la vie de l’esprit, une conception de la morale, une conception de la société et de l’éducation. Il a eu au plus haut degré le culte de l’intelligence, et la confiance dans la vertu des idées. On peut même dire qu’il a eu en elle la foi. Toute son œuvre pourrait porter comme épigraphe le mot de Pascal : « Travailler à bien penser, voilà le principe de la morale. »