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Les changemens sociaux durables touchent les organes vivans d’une nation : ils s’accomplissent très lentement.

Mais Fouillée croit qu’ils s’accomplissent ; il a foi dans le progrès, et même, malgré leurs tares très visibles, dans le progrès des démocraties. Il croit que l’on peut « intervenir ; » il critique l’individualisme de l’économie politique libérale, et il n’est pas éloigné d’un socialisme d’Etat assez vague, d’un ajustement de lois fort dangereux pour peu qu’il réponde davantage à des idées toutes faites qu’à des réalités, d’un réformisme qui satisfait la sentimentalité ou l’imagination logique, et dont l’expérience ne s’accommode pas toujours. Personne ne contredira Fouillée quand il conseille à la société humaine de mieux s’organiser, d’élever mieux les hommes du peuple, de faire régner plus de justice, de se défendre contre la sauvagerie ancestrale par la culture morale des individus. Toutes les morales et même toutes les politiques adopteraient ces maximes. Mais comment les faire passer dans les réalités ? Est-ce des mécanismes sociaux que Fouillée attend le progrès ? On le croirait parfois à le lire. Il est l’inventeur de la théorie de la justice réparatrice, qui consiste à « réparer les injustices résultant du fonctionnement de l’organisme social. » Il est l’inventeur de la théorie du quasi-contrat et, après les applications qu’en a tirées quinze ans plus tard l’auteur de Solidarité, M. Léon Bourgeois, on a bien le droit de se demander à la fois ce que valent ces réglementations et ce que vaut leur principe. Mais en même temps, il a pris soin d’indiquer les limites de la confiance qu’il accordait à la législation sociale, il a signalé sans ménagemens les inconvéniens de l’assistance sociale, dénonçant le danger qu’une fraternité aveugle fait courir à la société en abaissant le niveau physique et moral de la race, montrant les inconvéniens multiples de l’intervention du législateur et préférant à la philanthropie théorique de l’Etat l’initiative privée. Ici encore, il voudrait retenir les deux thèses, et user des mécanismes sociaux sans méconnaître ni étouffer la spontanéité des individus. Au fond, il ne croit pas à l’efficacité du mécanisme législatif, même s’il est fondé sur la science. On sait la parole fameuse de Sainte-Beuve qui, il faut se hâter de le dire, a été mieux inspiré : « Je prédis un avenir dans lequel les lois de la physiologie seront transformées en lois sociales et inaugureront dans le monde le règne de l’harmonie universelle. Un Constantin du