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et le bien des sociétés. L’individu à l’état pur est une abstraction, comme la société pure. En fait, il existe des individus vivant en commun. Fouillée cherche à découvrir sous les mots la réalité qu’ils enveloppent ; il analyse l’idée de famille et il y trouve à la fois des individus et quelque chose qui les assemble, il considère la patrie et y voit un « ensemble organique distinct des autres ensembles, un tout à la fois naturel et spirituel, différent des autres. » Il suit de là que, pour chacun, il y a un devoir d’assurer non seulement le bien qui lui est propre, mais aussi les conditions générales de ce bien. Le devoir de la défense nationale de la part des individus est lié au devoir de respecter toutes les ‘conditions d’une armée forte, discipline, hiérarchie, endurance, courage.

C’est par un raisonnement du même genre que Fouillée essaie d’expliquer les problèmes sociaux. Toute nation a besoin d’avoir une industrie florissante, et par conséquent les conditions mêmes de cette industrie, respect de la propriété et du travail, équité dans les contrats. « Tout un code moral dérive des vraies conditions modernes du travail et ce code n’est que trop violé. C’est pour cela même que se pose la question sociale, qui est aussi une question morale. » Dans plusieurs ouvrages, Fouillée a expliqué ses idées sur ce point, et elles sont assez complexes. Il commence par condamner le socialisme absolu. Les lecteurs de la Revue des Deux Mondes se rappellent sans doute maints articles où, avec sa fougue accoutumée et sa richesse d’argumentation, il s’attachait à démontrer l’insuffisance historique et critique du socialisme. Pour lui, il n’accepte pas la maxime essentielle du socialisme, selon laquelle les misères humaines tiennent au système social, et disparaîtront le jour où le système et en particulier le régime de la propriété serait aboli. Le système social et les misères sociales lui paraissaient à la fois les conséquences nécessaires de la nature humaine et de notre histoire. Notre structure économique et les maux qui assurément l’accompagnent sont effets d’une même cause, qui ne tient pas aux volontés particulières. Modifier le système ne serait rien : c’est la nature humaine, les lois qui tiennent à l’état social et réagissent sur lui qu’il s’agit de modifier peu à peu. Cette transformation sera l’œuvre incessante du temps. Les foules vivent enivrées de l’idée messianique d’une révolution et toutes les révolutions sont décevantes, étant surtout politiques.