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l’existence ; elle est active et, par son action, contribue à réaliser son objet, à se réaliser elle-même. Je pense, donc non seulement je suis, mais je me fais être ; bien plus, je fais être, en une certaine mesure, l’objet de ma pensée. La conscience n’est pas le sphygmographe enregistrant des pulsations auxquelles il ne peut rien changer ; elle est une réaction produisant des battemens de la vie qui, sans elle, n’auraient pas existé. Même dans la sensation, la vie consciente ou subconsciente réagit contre les impressions du dehors : elle opère un triage, une sélection, par conséquent une première analyse ; elle opère aussi une organisation, par conséquent une première synthèse, d’abord en vue de se conserver matériellement, puis en vue de se conserver et de s’accroître intellectuellement. Dans la connaissance proprement dite, l’idée se fait encore plus visiblement force. En effet, l’idée enveloppe presque toujours une intention, un plan, une méthode pour nous mettre en rapport avec les choses, pour les comprendre et agir sur elles ; elle est un schéma, à la fois théorique et pratique, de connaissances possibles, de mouvemens possibles, d’actions possibles... Toute idée est directrice du vouloir et de l’instinct en même temps que de la connaissance. L’idée ne mire pas une réalité tout achevée sans elle, comme un ruisseau mire les saules de sa rive : elle entre parmi les facteurs de la réalité et contribue à faire être ce qui, sans son action, n’aurait pas été ou aurait été tout autre.

Là où la loi des idées-forces est le plus incontestable, c’est pour les idées pratiques, qui concernent l’action, ses buts et ses moyens. L’idée des étoiles fixes ne fixera dans le firmament aucune étoile ; mais l’idée de la fixité dans un noble dessein, malgré tous les obstacles, pourra susciter la force nécessaire : justum ac tenacem propositi virum. Que de fois nous avons répété : Je fais ma dignité en la concevant, je commence à réaliser mon indépendance en la pensant, je fais ma responsabilité en me concevant responsable, je fais mon moi lui-même en disant : moi ; me cogito, ergo erjo sum !


Toute cette psychologie avait, à l’époque où elle paraissait, l’originalité de remettre en honneur des idées un peu négligées. Elle faisait paraître la richesse et la continuité de la vie psychologique, trop souvent réduite par les écoles à n’être qu’une série d’abstractions ou une collection de sensations. Elle procédait à une description de la conscience que les psychologues sur plusieurs points ont précisée et complétée en ces dernières années. Elle apportait une théorie ingénieuse de la liberté, et qui, même si elle risquait de soulever les objections des métaphysiciens ou des logiciens, était séduisante pour les moralistes. Car l’homme apparaissait comme ayant une part active dans sa propre vie ; il était proclamé en possession des idées qui, par cela seul qu’elles entraient en son esprit, avaient déjà la force de se réaliser ; il n’était pas le jouet des fatalités, l’irresponsable résultat des puissances