Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/879

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fallait-il croire que la liberté est une illusion, que la volonté, la responsabilité et toute la moralité qui s’y appuie, sont des notions de rêve ? Selon la croyance que l’on adopte, c’est l’image même du monde qui change ; c’est la direction de la vie, c’est notre croyance, c’est notre raison qui est en cause. Alfred Fouillée allait droit à une question essentielle. On sait que ses conclusions étaient en faveur de la liberté. L’idée-force ici jouait un rôle éminent. Si toute idée conduit à l’acte, l’idée de la liberté est capable de susciter des efforts, de dégager une force admirable. Même si l’examen des lois physiques ne conduit pas à une affirmation de la liberté humaine, l’idée de cette liberté est une puissance précieuse et qui existe, et qui se manifeste chaque jour. La volonté tend à des actions aussi intenses et aussi libres que possible ; elle tend, ajoute Fouillée, à l’expansion, à la puissance, au succès, à la nouveauté, au progrès, à l’évolution toujours novatrice. C’est en elle que Fouillée cherche un moyen de concilier les argumens qui se heurtent depuis qu’il y a des philosophes et qu’ils discutent sur la liberté.

Pour les uns, en effet, tout changement est explicable par des raisons mécaniques, ou du moins par des lois, et rien n’arrive fortuitement ni de telle manière que le contraire eût été possible. Pour les autres au contraire, il y a des commencemens absolus, il y a des actes contingens, qui auraient pu être différens, non seulement parmi les actes humains, mais dans la nature même. Alfred Fouillée proposait d’introduire dans le problème un élément nouveau. Il montrait comment, dans la pratique, opère et réussit l’idée de volonté libre ; il remarquait que la croyance à la liberté est cause que la plupart des hommes se conduisent comme si cette liberté existait certainement. Ainsi la liberté se réalise, en partie du moins, par cela seul que l’idée de liberté existe. Cet indéterminisme est relatif sans doute, mais il est l’équivalent du libre arbitre ; il est sa forme pratique : il est d’ « approximation » humaine de la liberté. A la limite, le vrai moi, conclut Fouillée, se définit par la liberté : la maxime est de grande conséquence pour tous les domaines de l’activité humaine.

Et l’on voit comment l’idée-force est ici conciliatrice : elle apparait comme portant en elle le pouvoir mystérieux de modifier les choses. Dans la volonté de conscience, il y a une aspiration toujours incomplètement réalisée ; il y a une pénétration de nos divers états de conscience, idées, sentimens,