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Dépassant la religion spiritualiste de Socrate, Platon ne se contente pas de voir dans l’idée générale une conception de l’esprit, il y voit un être, bien plus, le seul être réel, l’essence vivante et éternelle dont les choses auxquelles croit le vulgaire ne sont que l’apparence ou le reflet. Tout cet univers qui nous est sensible existe seulement par sa participation aux idées, qui, elles, sont immatérielles et qui, s’ordonnant dans une hiérarchie régulière, se résument en l’Idée suprême du Bien. Dans ce poème de la nature, le platonisme avec une incomparable hardiesse retrouvait et renouvelait les théories des premières philosophies ioniennes sur les apparences changeantes du monde, sur l’écoulement universel, sur la distinction éléate entre l’être et le paraître, — et aussi la notion de la science méthodique de Socrate, l’Être des êtres, immuable, immortel. Cet idéalisme sublime et subtil a toujours eu le plus puissant prestige sur l’esprit d’Alfred Fouillée : s’il s’est refusé à suivre l’inspiration platonicienne partout où elle l’entrainait, s’il a hésité, aux limites du connaissable, à dépasser avec lui la dialectique et à entrer dans les régions du mystère, il lui a dû le goût de la spéculation, et de ces recherches d’ensemble qui, allant au delà des résultats scientifiques, lui paraissaient être le propre de la philosophie.

Cependant le naturalisme de l’époque où Alfred Fouillée commençait de réfléchir s’opposait avec éclat à l’idéalisme platonicien. Tandis que le philosophe grec tenait le monde des idées pour le seul qui existât, les théories scientifiques semblaient conspirer pour réduire la nature à un enchaînement de faits nécessaires, et voir dans le monde des expériences l’unique réalité. Tout l’effort d’Alfred Fouillée a été, selon sa propre expression, de ramener les idées de Platon du ciel sur la terre et de réconcilier ainsi l’idéalisme et le matérialisme. Son ouvrage sur la philosophie de Platon atteste qu’il a essayé cette conciliation jusque dans le platonisme lui-même, dont il a tenté une interprétation hardie et contestable. Était-on bien sûr, disait-il, que Platon ait vu dans « l’homme en soi » une peinture éternellement immobile, proposée pour modèle à la mouvante réalité ? N’avait-il pas parlé de l’âme du monde, d’une « génération » sans commencement et sans fin, d’une sorte de vie universelle ? N’était-il pas permis de croire qu’il n’y avait pas séparation entre le monde matériel et le monde spirituel,