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par cette origine même d’une autorité tendant à la certitude. A cette œuvre, qui a de l’ampleur, Alfred Fouillée a dépensé une éloquence pleine de chaleur et une faculté d’argumentation d’une étonnante promptitude. Les historiens, étudiant les vingt-cinq dernières années du XIXe siècle, y trouveront le reflet de toute l’époque. Dans le déluge des théories contradictoires, des morales opposées, des politiques adverses, l’art logique d’Alfred Fouillée a tenté de construire l’arche où pourraient se retrouver dans un assemblage harmonieux les idées qu’il a jugées dignes de survivre.


C’est à la philosophie des Grecs qu’Alfred Fouillée a consacré ses premières études. Elle a joué dans le développement de sa pensée un grand rôle : elle a posé dès le début de ses travaux des problèmes dont il ne devait plus se détourner. Les deux ouvrages sur Socrate et sur Platon, écrits il y a quarante ans, sont encore très lus et le seront longtemps. Ils ont contribué à rajeunir les études historiques et à répandre le goût de la haute spéculation. Si Alfred Fouillée avait voulu être uniquement un historien et concentrer ses efforts sur les sagesses antiques, il aurait brillamment réussi dans cette entreprise. Il avait l’art de faire vivre les théories du passé ; il se trouvait à l’aise parmi les finesses de la dialectique ancienne ; il savait même vêtir les idées d’une sorte de poésie, et ce don ne pouvait trouver emploi plus heureux que dans l’exposé des doctrines platoniciennes. Son interprétation de l’antiquité et en particulier de Platon est discutable ; elle lui a du moins servi à dégager, dans deux beaux livres, les idées qu’il a tâché ensuite d’approfondir.

La philosophie socratique a éveillé en lui l’intérêt de la science morale. Après la période magnifique et aventureuse où la pensée ionienne s’élance vers les solutions des plus hauts problèmes, cherche l’origine des choses encore à peine connues, et s’enhardit à des explications totales, rigoureuses et hypothétiques, Socrate renouvelle la philosophie en lui donnant pour objet le monde moral. La poursuite des principes premiers avait abouti à trop d’incertitudes : les sophistes et Socrate renoncent à mettre l’univers matériel au premier plan de leurs recherches ; ils détournent leurs yeux du ciel des astronomes et