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de volumes, dont il n’est pas besoin d’être philosophe pour remarquer la diversité. D’esprit naturellement curieux et prompt, il s’est intéressé à tout ce qui touche la spéculation, l’histoire et l’art politique. Il a commencé par des études sur la philosophie antique, en particulier sur les idées platoniciennes ; il a critiqué Kant, Nietzsche, et les systèmes de morale contemporains ; il a consacré à Guyau un livre pieux, monument à la mémoire de cet écrivain séduisant et élevé à qui tant de liens l’unissaient. Dans cinq ouvrages, qui sont les plus importans pour connaître ses théories personnelles, il a exposé quelle est sa psychologie, son idée de la liberté humaine, de la morale et de la connaissance. Une autre série d’études, dont la plus remarquable est l’Idée moderne du Droit, a pour objet l’organisation des sociétés, la propriété, le collectivisme et le réformisme. Enfin il n’a cessé toute sa vie de combattre en l’honneur de l’enseignement classique, aimant la haute culture, et se plaisant à croire qu’elle n’était pas compromise par l’avènement de la démocratie autant qu’elle en avait l’air. Il suffit d’indiquer la variété de ces préoccupations : elles attestent une prodigieuse activité, une grande puissance de travail, la souplesse d’un esprit que l’expérience même n’immobilise pas sur un seul sujet. Peu d’écrivains donnent une telle impression de facilité et d’abondance, et l’on regretterait que l’auteur n’eût pas cherché à se resserrer et à se concentrer davantage si cette aisance à se répandre et à se mouvoir parmi les idées les plus différentes n’était essentielle à son tempérament. Sa pensée n’aimait pas se définir : elle avait au contraire besoin d’indéfini. Lorsque, l’année dernière, Alfred Fouillée publiait un livre où il faisait un tableau synthétique de ses théories pour les comparer aux idées le plus récemment exprimées par les philosophes, il annonçait ses projets du lendemain ; il se proposait d’écrire ce qu’il pensait du monde et de la vie, peut-être même, ajoutait-il, de « cet au-delà qui est l’objet des religions. »

En considérant tour à tour tant de sujets d’étude, Alfred Fouillée avait son dessein. Il ne prétendait pas, est-il besoin de le dire ? refaire pour son compte l’histoire de chaque doctrine ni renouveler tout ce qu’il touchait. La vie d’un homme de génie n’y aurait pas suffi. Quand il parlait du droit, du socialisme, de la morale, il analysait les théories telles qu’elles étaient constituées de son temps. Mais il ne se contentait pas non plus de cette analyse ;