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comme pétrifié, garda un moment le silence ; puis, d’une voix presque balbutiante :

— Mais alors... pour quelle raison y êtes-vous venu ? interrogea-t-il.

Alverighi, fort content de notre surprise, voulut l’accroître par de grands mots qui ne répondaient pas à la question.

— Moi, venu en Amérique pour m’enrichir ? Mais, à dix-huit ans, j’avais fait vœu de pauvreté comme un moine de jadis. J’étais ensorcelé par l’idée de devenir quelque chose. Je ne savais pas au juste quoi : selon les jours, grand poète, ou grand philosophe, ou grand romancier ; l’une de ces choses, ou toutes à la fois ; bref, un homme unique, comme vous disiez l’autre soir. Mais, en attendant, un petit poste de professeur dans un collège de Sicile était mon royaume terrestre. Cent francs par mois me semblaient un apanage suffisant pour un homme de génie qui allait enfanter d’immortels chefs-d’œuvre. Ne vous en étonnez pas : je suis né dans une famille d’ascètes...

— Eh bien, insista Cavalcanti, pourquoi donc êtes-vous venu en Amérique ?

— Pourquoi ? Parce que, si j’étais prêt à faire un vœu perpétuel de pauvreté, je voulais à ce prix devenir un grand savant. Or, entre dix-huit et vingt-deux ans, je me suis aperçu que l’Europe ne pouvait pas me donner la science.

— Et vous êtes venu la chercher en Amérique ! s’écria Cavalcanti ébahi, en levant les bras.

Alverighi à son tour croisa les bras lentement, s’appuya contre la table, et, regardant son interlocuteur bien en face, il prononça, en scandant presque les mots :

— Certainement, je suis venu en Amérique pour y chercher la Vérité. Et je ne l’y ai pas seulement cherchée, je l’y ai trouvée. Vous ne me croyez pas ? Cela vous parait étrange ? Vous aussi vous estimez que l’Amérique n’est bonne que pour y ramasser de l’or ? Quelle honte !

Cavalcanti demeura un instant immobile et muet, sans doute parce que, comme nous tous, il ne savait plus que penser de ces étranges discours. Puis il dit :

— Vous savez : je serais très curieux d’apprendre comment cela s’est fait. A parler franc, je n’imaginais pas que l’Amérique fut capable de produire de semblables miracles.