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composition pour y chercher les débris de la mystérieuse UrIlias ? Cose da pazzi ! Des folies, comme dit le docteur. Mais ceux-là, on ne les a pas mis dans un asile d’aliénés ; au contraire, ils ont été stipendiés par l’État, chargés d’enseigner dans les Universités, couronnés par les Académies, nommés eux-mêmes Académiciens, considérés par le public comme des puits de science !... Résultat : nous ne pouvons rien affirmer avec certitude sur l’Iliade et sur l’Odyssée. Sont-ce des fables ou des histoires vraies ? des rapsodies faites de pièces et de morceaux ou des chefs-d’œuvre ? les premiers enthousiasmes d’une jeune barbarie ou le dernier fruit d’une civilisation mûre ? Ont-elles été écrites dans une langue parlée ou dans une langue littéraire ? Car il me semble bien, à moi comme à vous, que Michel Bréal a raison ; mais les savans continuent à répéter qu’Homère n’a jamais existé et qu’il a écrit ses poèmes à une époque où l’écriture était encore inconnue ! Comment décider qui a tort et qui a raison ? Il n’y a pas d’argument décisif. De part et d’autre, ce ne sont que des conjectures, et chacun peut en croire ce qui lui plait. Disputer ne sert à rien, monsieur Cavalcanti, alors même que nous ne serions au monde que pour cela ! En somme, l’Iliade et l’Odyssée sont maintenant deux énigmes très obscures, que chacun peut expliquer à son gré, encore que ces poèmes aient été lus, admirés, traduits, commentés, corrigés, appris par cœur et adorés par une longue suite de générations. Comment expliquez-vous, monsieur Cavalcanti, ce singulier phénomène ?

Il attendit un instant ; mais Cavalcanti resta muet.

— Ne serait-ce pas, reprit alors l’ingénieur, parce que l’esprit peut souffler librement à travers les poèmes homériques comme le vent sur la mer ? Vous avez dit, monsieur Cavalcanti, que, pour comprendre une œuvre d’art et en jouir, nous devons nous libérer de tous ces principes conventionnels du beau que les contemporains de l’œuvre ont eu à subir, parce que les intérêts les leur imposaient. Fort bien. Mais à ce compte il n’y a pas de poète au monde que nous devrions mieux comprendre et goûter mieux qu’Homère : car, sur ces poèmes, nous ne savons pas même avec certitude quand et comment ils ont été composés. Imaginez, dès lors, si nous pouvons songer à les juger avec « les nerfs » des contemporains et d’après les idées conventionnelles qu’ils se faisaient du beau, à supposer qu’ils s’en