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nous avons parlé le plus souvent. J’ai déjà dit l’autre soir que l’homme peut trouver en toutes choses un principe de beauté : dans l’ordre et dans le désordre, dans la simplicité et dans le faste, dans le classique et dans le rococo, dans la légèreté et dans la lourdeur, dans la rose et dans l’orchidée, dans le Parthénon et dans un ghetto ruineux, dans Paris et dans New-York, dans la ligne droite et dans la ligne courbe, dans la douceur et dans la violence, dans la grâce de l’enfant et dans l’horreur d’une catastrophe. Oui, l’homme peut trouver en toutes ces choses un principe de beauté ; mais rien ne l’obligea à le chercher dans l’une plutôt que dans l’autre. Et alors, qu’arrivera-t-il, si chaque artiste dans l’acte de créer, si chaque individu dans l’acte de juger, s’attache à celui de ces principes qui lui agrée davantage, selon sa seule fantaisie, sa seule inclination, sa seule inspiration ourson seul caprice, comme vous le voulez, Alverighi ? Le monde deviendra une tour de Babel, comme le Cordova l’a été ces jours derniers. Caïus estimera beau ce qui paraîtra laid à Titius, et réciproquement : car chacun partira d’une définition du beau qui ne sera pas celle de l’autre : et si Gaïus et Titius sont contraints de vivre ensemble, ils seront perpétuellement en querelle et ne réussiront jamais à s’entendre, comme c’est le cas de M. et Mme Feldmann. Pourquoi, par exemple, avons-nous tant et si vainement discuté, sans parvenir à nous entendre, au sujet d’Hamlet, de Rodin et d’autres artistes ? Parce que chacun de nous, dans son raisonnement, sous-entendait une définition du beau qui contrariait celle des autres. Chacun de nous voulait une chose que les autres ne voulaient pas. Donc, pour n’être pas réduits à discuter toujours sans jamais s’entendre et finalement à divorcer, comme les Feldmann, il convient que l’on tombe d’accord pour établir des limites. J’ai dit : que l’on tombe d’accord. Qu’est-ce qu’une école artistique ? un genre littéraire ? le style d’une époque ? C’est une forme de la beauté isolée par un acte de cette « volonté large » dont j’ai parlé tout à l’heure par la volonté d’une génération, d’une civilisation, d’une ville, d’un peuple, et réalisée comme la seule belle par un effort persévérant. Bref, si une génération, une civilisation une ville, un peuple, affirment que le beau est, soit la simplicité, la proportion, la légèreté, la grâce, la ligne droite, soit au contraire le fastueux, l’affecté, le maniéré, l’emphatique, le pesant, le gigantesque, la ligne courbe, nous aurons alors un étalon de mesure,