Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/841

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi ?... S’il épouse sa gouvernante, je parie bien que c’est pour la faire enrager ! » Donc la nouvelle du divorce s’était déjà répandue sur le navire et le prestige de Mme Feldmann périclitait. Avant le déjeuner, je ne vis ni l’amiral, ni Rosetti, ni Alverighi ; mais je rencontrai Cavalcanti qui me parla du discours d’Apollon. Moi, je lui racontai que, cette nuit-là, je m’étais efforcé de reclouer le soleil au centre du système solaire. Nous causâmes de la science moderne ; puis nous parlâmes de Mme Feldmann. Quand je dis à Cavalcanti ce qu’avait supposé la belle Génoise, il sourit et haussa les épaules : ,

— Pourquoi pas ? fit-il. En fin de compte...

Au déjeuner, Rosetti et l’amiral étaient présens ; mais personne ne demanda à celui-ci des nouvelles de Mme Feldmann, et il ne prit pas l’initiative de nous en donner : il semblait que tout le monde se fit scrupule de toucher à ce sujet. Je tâchai d’amener Rosetti à ouvrir tout de suite les trésors cachés de la sagesse apollinienne ; mais Rosetti se déroba, renvoya la glose après le dîner : dans l’après-midi, il aurait à écrire ses notes de voyage. On parla donc d’autre chose, par exemple, de M. Yriondo, qui était entré en convalescence. La Science Chrétienne triomphait !

Le déjeuner fini, j’allai lire sur la carte que nous étions arrivés à 31 degrés 42 minutes de latitude, 11 degrés 12 minutes de longitude. Puis, avant qu’on se fût dispersé pour la sieste, je pris à part l’amiral et je l’interrogeai sur l’état de Mme Feldmann. Il me dit qu’elle avait passé une nuit très agitée, qu’au matin, elle l’avait fait prier de venir, et que, tout en pleurant et en soupirant, elle lui avait dit et répété qu’elle continuait à ne pas comprendre. Il n’y avait jamais eu entre elle et son mari aucun soupçon, aucun différend sérieux ; miss Robbins avait toujours été la meilleure, la plus loyale, la plus sincère des femmes. Bref, elle croyait rêver, n’y comprenait absolument rien. Je dis alors à l’amiral qu’en somme un si extraordinaire divorce devait avoir sa raison ; que les raisons supposées par nous jusqu’ici ne valaient rien ; mais que, puisqu’il connaissait le mari, il pouvait sans doute deviner la raison véritable. Il me regarda en souriant.

— Je ne puis croire, répondit-il, que Feldmann soit fou. Un homme qui a fait une si grande fortune !

Il hésita, une seconde ; puis, peu à peu, il s’ouvrit à des