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par la longue humiliation que lui avaient fait subir les Dieux méditerranéens, était devenu poltron et cagnard. Mais ce diable de Prométhée le réveilla. En Amérique, Prométhée accomplit une seconde fois le vol du feu : il découvrit les mines de charbon, les lacs souterrains de pétrole. Avec ces combustibles, et grâce à l’électricité qu’il avait déjà découverte dans le vieux monde, il entreprit de créer dans le désert la nouvelle génération des Titans, je veux dire les machines, — la locomotive, la voie ferrée, le téléphone, le télégraphe, la dynamo, le four Bessemer, les machines agricoles et toutes les autres. — Que sont les machines mues par la vapeur ou par l’électricité, sinon un second vol du feu, principe de tous les arts et, comme on dit maintenant, de tous les progrès ? Et alors on vit l’Amérique, condamnée par la malédiction des anciens Dieux méditerranéens a une stérilité éternelle, fructifier avec une merveilleuse abondance. Rapides et impassibles, ces Titans-là triomphaient de l’Espace, du Temps, du Désert, de la Montagne, de l’Océan, de la Terre, les contraignaient à céder leurs trésors les plus cachés, et répandaient généreusement ces trésors autour d’eux. Ce que fut la stupeur du monde, au premier moment, vous pouvez vous l’imaginer. Ne les avait-on pas trouvés enfin, les Dieux vraiment amis des hommes, vraiment bienfaisans, ni jaloux, ni durs aux prières, ni intéressés, ni avides comme ces dieux olympiens, auxquels pendant tant de siècles l’humanité avait demandé vainement l’abondance, la santé, la richesse et la paix ? Minerve, la plus judicieuse des Déesses, s’alarma, — vous vous rappelez que c’était elle qui avait conseillé de reléguer Prométhée et Vulcain en Amérique ; — et elle courut trouver Jupiter. Jupiter, assis sur son trône d’or, l’écouta, tourna lentement et avec majesté son regard vers le nouveau monde, considéra un instant ces immenses déserts, — les uns couverts de neige, les autres brûlés par le soleil, — où ses yeux divins eux-mêmes avaient peine à discerner çà et là quelque village solitaire ou quelque bourgade ; et il haussa les épaules, « Ne t’inquiète pas, ma fille, » répondit-il... Cependant la nouvelle se répandait dans le vieux monde que, dans le nouveau monde, on avait enfin découvert des dieux amis de l’homme. L’émigration commença ; elle s’accrut rapidement : bientôt ce fut comme une fuite précipitée ; tant qu’enfin les Dieux de l’Olympe prirent peur à leur tour. « Allaient-ils perdre toute leur clientèle ? »