Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et néanmoins avec quel plaisir nous regardions tout cela ! Après onze jours durant lesquels, de ce pont instable, nous avions contemplé l’éternelle et toujours fuyante mobilité des flots et des nuages, pouvoir enfin s’arrêter et reposer sa vue sur les formes immobiles de la terre nourricière ! Sentir enfin sous ses pieds un sol ferme et résistant !

Vers huit heures et demie, tous mes compagnons se montrèrent : l’amiral, Rosetti, Alverighi, Cavalcanti, Vazquez. Tous, sauf l’amiral, étaient habillés pour descendre à terre, le chapeau sur la tête et l’ombrelle à la main.

— Vous ne descendez pas, amiral ? demandai-je.

— Je descendrai plus tard, me répondit-il. Je vous retrouverai à l’Hôtel de France pour le déjeuner. Je reste parce que Mme Feldmann veut lire avec moi ses dépêches. Ensuite, nous irons à terre ensemble.

Nous causâmes de choses indifférentes. Rosetti nous prédit de la pluie ; mais ce danger n’effraya personne : ce qui nous ennuyait, c’était d’attendre. Cependant les marins préparaient le paquebot à recevoir son charbon ; ils bouchaient portes et fenêtres, tendaient partout de grosses toiles, disposaient les échelles, les cordages, les cabestans. Bientôt un petit vapeur se détacha de la rive, au loin, et se dirigea droit sur le Cordova, tandis que deux ou trois autres le suivaient. Un monsieur en uniforme monta à bord, et plusieurs personnes y montèrent derrière lui : des fonctionnaires, des courtiers maritimes, des marchands de charbon, je suppose. Sur les échelles du Cordova et sur le pont commença un bruyant va-et-vient, un bavardage polyglotte, un entre-croisement d’appels. Tout à coup, Alverighi se précipita vers moi :

— Vite, vite ! Le capitaine nous offre la chaloupe à vapeur de l’agent du Lloyd. Mais il faut se dépêcher.

En courant à travers une foule affairée et vociférante, je réussis à trouver ma femme et mon fils, mais non Rosetti. Comme je continuais à le chercher, Cavalcanti me cria :

— Venez, venez ! M. Rosetti est déjà dans la chaloupe.

Au moment où nous allions descendre, l’amiral passa, tenant à la main un volumineux paquet de papiers.

— Ce sont des dépêches pour Mme Feldmann, me dit-il en souriant. Au revoir. Nous vous rejoindrons tout à l’heure.

Aussitôt la chaloupe se détacha et partit rapidement vers