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ENTRE LES DEUX MONDES[1]

CINQUIÈME PARTIE[2]


XV

Le mardi matin, j’étais à peine éveillé lorsque j’entendis sur le pont des voix singulièrement claires et distinctes, comme si l’air était devenu plus sonore. Je regardai autour de moi. Le paquebot ne grondait plus, ne tremblait plus, était immobile ! « Nous sommes arrivés ! » me dis-je. J’ouvris la petite fenêtre, et, par-dessus les épaules de deux marins qui, penchés sur la balustrade, parlaient à je ne sais qui et faisaient je ne sais quoi, j’aperçus des maisons, des arbres, un pan de montagne. J’éveillai mon fils, m’habillai à la hâte et sortis quelques minutes avant huit heures.

Notre bateau était à l’ancre dans le petit port de Las Palmas, et nous attendions la visite médicale. L’Océan que, durant tant de jours, nous avions vu illimité, désert et inquiet, se présentait maintenant clos, stagnant, peuplé ; et, dans cette mer rétrécie, le Cordova semblait plus grand, plus élevé sur le niveau de l’eau, parmi toutes ces barques qui commençaient de rôder autour de lui pour offrir des cigares et des oranges aux passagers de troisième classe penchés en grand nombre sur les plats-bords. Le jour était sombre, les collines qui entourent Las Palmas étaient noires, le ciel était gris et menaçait de pleuvoir.

  1. Copyright by G. Ferrero, 1913.
  2. Voyez la Revue du 1er février.